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De notre correspondant à
Paris (75), Stéphane LOISON
EDGAR MORIN Chronique d'un
Regard - 28
avril 2015
Un film de Céline Gailleurd et Olivier
Bohler avec Mathieu Amalric
Un vrai film sur la vérité vrai du cinéma
vérité d'Edgar Morin
En salle et en DVD le 29 avril 2015.
L'histoire
De Paris à Berlin, Edgar Morin revient sur la
place fondatrice du cinéma dans sa formation
intellectuelle, jusqu'à la réalisation en 1960,
avec Jean Rouch, de « Chronique d'un été »
qui bouleversa l'histoire du cinéma documentaire
et de fiction.
L'Avis
Ce film est une belle expérience de vie ! Tout
cinéphile et amoureux de la vie, doit aller le
voir ou se procurer le DVD. Le mode de mise de
scène adopté par Céline Gailleurd et Olivier
Bohler retranscrit avec justesse la pensée
d'Edgar Morin ainsi que sa personnalité. A
l'aide de très nombreuses archives, ils vont
éclairer ses propos, inspirés par les concepts
qu'il a développés dans ses livres, ses
critiques cinématographiques. C'est un film
totalement à la Morin, où, pour lui, le cinéma
était « un grand refuge, un placenta » dès
son enfance en 1930 ! (il est né en 1921)
A l'origine il y a l'image, le générique.
Mathieu Amalic est attablé dans un café avec
quelques livres d'Edgar Morin. Il saisit « Les
Stars » et ouvre une page où apparaît,
magnifique, en noir et blanc, un portrait
d'Elisabeth Taylor et de Montgomery Clift, une
photo publicitaire pour le film « Une Place au
Soleil » de George Stevens, puis, avec un coupe
papier, il ouvre une page d'un autre livre, une
ancienne édition aux Editions de Minuit de « Le
Cinéma ou l'Homme Imaginaire ». Il lit un
passage qui parle d'entrer dans les ténèbres
d'une grotte artificielle, de la poussière
lumineuse qui danse sur un écran ; la voix
d'Amalric nous emporte et nous accompagnera tout
le long du film
« le cinéma nous entraîne
dans une aventure errante ; Nous franchisons les
temps et les espaces
l'évidence nous crève
les yeux, elle nous aveugle »; les mots
imprimés disparaissent au profit de l'image ;
elle s'anime en plusieurs superpositions : en
ombre chinoise Edgar Morin avec son éternel
chapeau regarde un écran, sur des façades de
Paris s'envole dans ses drapés la Loïs Fuller,
des trains sont lancés à toute vapeurs, des
élégantes des années 25 descendent des
escaliers somptueux, Lilian Gish regarde la
caméra avec toute sa fragilité naissante, des
baisers romantiques s'échangent, Morin
apprécie, sourit, et en voix off, il évoque son
enfance difficile et comment, en ayant vu « Le
Chemin de la vie » du soviétique Nikolas Ekk,
il s'est totalement identifié à cette histoire
; il avait à 11 ans, il était transportait par
le côté épique de cette révolution
soviétique. Il était une des premières
générations inséparables du cinéma ; il
était cinéphage il est devenu cinéphile. Ce
début du film est à lui seul l'Histoire du
cinéma. De la nuit parisienne on retrouve en
pleine lumière Morin à Berlin ; la caméra va
le suivre dans ses déambulations. C'est au cours
de cette circulation, cet itinéraire, en moyen
de transports, en de rues Berlin, de Paris, en
musées
que va surgir ses souvenirs, de la
résistance, de sa condition de juif, de Berlin
« année zéro » après la guerre, de ses
convictions politiques, des ouvriers, de la
fraternité des peuples, de ses rencontres, de
ses écrits ; il va exprimer sa pensée, ses
pensées, ses doutes. Il va nous rappeler comment
le cinéma a façonné sa vie et que l'étudier
est aussi un acte sociologique, une façon de
parler de notre société : « ces rêves ces
mythes sont aussi des produits sociaux, le film
est une sécrétion non seulement du corps social
mais aussi du spectateur qui va à sa rencontre
». Il analyse, aux Deutsche Kinemathek, au
Musée des Arts Premiers, le phénomène des
stars du cinéma, cette religion de la beauté,
conduisant à l'analogie avec les masques des
civilisations extra européennes, de l'industrie
du cinéma, de la culture de masse et la
différence avec la création ; le cinéma est
pour lui le plus grand art du XXIème siècle !
Images et montage participent à son discours.
Une grande partie de ce film, bien sûr, est sur
cet acte fondateur de l'expérience du cinéma
vérité inventé avec Jean Rouch : « Chronique
d'un été » ; des extraits du film et même des
rushes non synchrones viennent en contrepoint,
entre les mots de Morin et de Rouch.. Ses
extraits de « Chroniques d'un été » montrent
la difficulté de chercher la vérité sans
passer par le romanesque. Aujourd'hui on voit
comment la télévision a pu pervertir cette
expérience ethnologique. La musique est
présente dans ce portrait sensible et
intelligent. Camille Fabre, la compositrice, a
mêlé de la musique klezmer une séquence
montre à Berlin, Morin dansant au son d'un
orchestre de rue qui joue des airs yddish - a des
textures urbaines, électroniques selon les
émotions et les lieux. Edgard Morin termine en
gros plans importance du gros plan au
cinéma - son propos avec cette phrase : « Il
n'y a pas de connaissance sans connaissance du
connaissant, sans connaissance de la connaissance
» il enchaîne « Il faut savoir s'examiner,
s'autocritiquer pour savoir dans quelle mesure on
ne se ment pas à soi-même ». Un vrai film sur
toute la vérité ( ?) d'un homme qui a cherché
toute sa vie à tenter de dire vrai. Un régal
d'intelligence.
Stéphane Loison
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