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De notre correspondant à Lille , Martin TOURNADRE


Troubles psychiques : Halte aux rejets ! - 26 février 2010


« En France, les troubles psychiques sont la première cause d’invalidité et la deuxième cause d’arrêt maladie. Les personnes qui en souffrent subissent stigmatisation et discriminations. »(1) , voici le sombre constat sur lequel se base la campagne « accepter les différences »(1) avec un slogan qui sonne comme un mot d'ordre général : « Accepter les différences, ça vaut aussi pour les troubles psychiques »(1) . Une bataille qui s'annonce longue pour les professionnels engagés quand on voit l'ancrage des préjugés qui rendent la vie dure à des personnes pour qui elle est déjà difficile.

Il faut croire que personne n'a retenu la plaisanterie de Jacques Lacan lancée aux étudiants en 1968 : « Nous sommes tous des névrosés ! ». Une plaisanterie, pas tellement quand on sait que selon une enquête nationale du Centre Collaborateur de l'OMS(2) , 30% des Français seraient concernés par des troubles psychiques (allant des dépressions aux psychoses en passant par les troubles addictifs), première cause d'invalidité et deuxième cause d'arrêt de travail(3) et près de 37% de la population ont déjà eu recours à des médicaments psychotropes(3) . La santé mentale est bien une affaire de tous et personne ne semble « à l'abri » de son apparition. Et pourtant les préjugés demeurent.

Des préjugés, on en trouve dans toutes les pathologies. Les personnes présentant un trouble schizophrénique sont probablement les plus touchées. Qui n'a jamais entendu l'équation « schizophrène = plusieurs personnalités + dangereux » ? Cette idée reçue, fortement véhiculée par le cinéma est acceptée par la majorité de la population. Commençons par poser la définition de la schizophrénie : « La schizophrénie est une psychose, c’est-à-dire une maladie mentale dont le malade n’est pas conscient (contrairement à la névrose) et caractérisée par la perte du contact avec la réalité et par des troubles plus ou moins graves de la personnalité »(4) . Il n'est donc question ni de personnalité multiple ni de comportements violents. En réalité, comme le remarque M. Daumerie, psychologue à l'EPSM de Lille « les schizophrènes se font surtout agressés, mais ça on n'en parle pas ». Les patients psychiatriques sont 12 fois plus souvent victimes de crimes que la population générale(5).

La dépression est une maladie. Cette affirmation peut en surprendre plus d'un. En effet on assiste bien souvent à un entourage qui estime la personne dépressive comme quelqu'un qui « se laisse aller » et/ou qui « se plaint tout le temps ». Une définition que j'ai trouvée sur internet m'a paru claire et pertinente : « La dépression ou dépression nerveuse se caractérise par un état pathologique avec une humeur triste et douloureuse associée à une réduction de l'activité psychologique et physique. La personne atteinte de dépression se sent impuissante et la maladie est souvent accompagnée d'autres symptômes comme l'anxiété ou l'insomnie. »(6) La dépression est véritablement une pathologie, de type réactionnelle (deuil, maladie associée, solitude...) ou non, accompagnée de ses symptômes caractéristiques et non le caprice de quelqu'un qui manquerait de volonté. Il est d'ailleurs intéressant de voir le tabou et les idées reçues (qui réduit avec les années) sur les antidépresseurs. Une illustration dans la culture populaire : le film Equilibrium dans lequel la population est soumise et droguée grâce à un produit nommé « prozium » (« subtile » contraction entre prozac et valium).

Sur la maladie mentale en général, comme le constate la campagne « accepter les différences », un ridicule amalgame fait consensus : le malade mental serait un potentiel délinquant. Or, en 2003, sur 47 655 personnes mises en examen, il n'y eut que 285 non lieux pour irresponsabilité pour cause psychiatrique(7) . L'idée d'incurabilité des troubles psychiques est courante et pourtant le Dr Le Cardinal, psychiatre à l'EPSM de Lille déclare, à propos des personnalités borderline que, selon le mode de vie du sujet et l'avancée de la thérapie, le diagnostic peut être remis en question.

L'existence des personnes présentant des troubles psychiques est généralement marquée par le rejet. La question du monde du travail m'a interpellée car, comme l'estime le Dr Le Moigne, il possède une place importante dans l'avenir du sujet(8) . L'exclusion est forte, en 1998, les affections psychiatriques étaient les premières causes médicales pour l'attribution d'une pension d'invalidité (26,7 %)(9) . Une exclusion partagée entre les difficultés personnelles et le rejet de l'environnement social.

Après presque un mois de recherche de témoignages, j'ai finalement reçu un coup de fil venant d'une femme travaillant dans une boîte d'intérim. Le témoignage est révoltant. La politique qu'on lui impose a le mérite d'être claire : « pour ce qui est des travailleurs handicapés, favorise les handicapés physiques », « je préfère encore un mongolien à un fou », « surtout fais attention à ceux qui ont l'air dépressifs, ils sont souvent absents », « le mec qui pue l'alcool, tu balances son dossier direct ». Je ne m'attendais pas à des citations aussi criantes de vérité. Une réalité intolérable. La jeune femme est énervée mais souhaite conserver son travail. Elle me donne les coordonnées d'une connaissance, un agent immobilier. Je le rencontre en prétendant travailler sur un projet d'article sur la crise immobilière. C'est un homme plein d'ambition qui, au fur et à mesure de la direction que je mène dans la discussion m'avoue solennellement « c'est clair qu'on évite les personnes qui ont des pensions d'invalidité quand ils ne sont pas en chaise roulante (rires) , on a trop peur qu'ils ne paient pas leur loyer, et en France c'est super chiant de virer quelqu'un de son appart' ». Mettre une personne ayant un trouble psychotique dans la rue, soyons clairs, c'est signer, bien trop souvent, son arrêt de mort.
Pour ce qui est de l'entourage ? Dans un ouvrage destiné aux infirmières on peut lire à propos des patients présentant un trouble de la personnalité limite : « Leur existence est marquée par le rejet des autres, dont ils subissent souvent les sarcasmes et le mépris »(10)

Les préjugés infondés mènent au rejet et celui-ci amène à compliquer la vie et compromettre les psychothérapies des hommes et des femmes ayant des difficultés psychologiques. L'exemple le plus insupportable : 90% des suicides sont associés à des troubles psychiques(11) . L'isolement étant un des facteurs les plus importants dans le passage à l'acte.


(1)
http://www.accepterlesdifferences.com/
(2) Troubles mentaux et représentations de la santé mentale : premiers résultats de l'enquête Santé mentale en population générale. Etudes et résultats, n° 347, Octobre 2004 – DREES –
Ministère de la santé – CCOMS
(3) Rapport CNAMTS octobre 2007
(4)
http://www.vulgaris-medical.com/encyclopedie/schizophrenie-4160.html
(5) (Lovell, 2005)
(6)
http://www.creapharma.ch/depression-definition.htm
(7) Ministère de la Justice - Répertoire de l'instruction année 2002 derniers chiffres publiés
(8)
Fil Rouge
(9) Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) - ENSM -
http://www.ameli.fr/pdf/1049.pdf (format pdf)
(10) Nouveaux Cahiers de l'infirmière, Psychiatrie I. Syndromes et maladies, Q. Debray, ed. Masson
(11) Expertise collective Autopsie psychologique, Inserm 2005,
http://ist.inserm.fr/basisrapports/suicide.html



Martin TOURNADRE


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