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De notre correspondant à Lille , Martin TOURNADRE


Dans un hôpital gériatrique à Lille, des personnes âgées maltraitées - 16 février 2010


Un triste constat domine en France : la maltraitance et la médiocre qualité des soins imposées aux personnes âgées dans certains établissements. Un exemple dans l'agglomération lilloise est représentatif de cette situation. Le terme de « maltraitance » est-il emphatique? A voir après ce témoignage d'un étudiant s'il s'agit d'une inadéquation de vocabulaire ou d'une appréciation de comportements bien trop banalisés.

7h30. La journée commence, ou presque, un patient sonne mais les aides-soignantes tardent à répondre, elles ont pour habitude de finir leur petit-déjeuner aux alentours de 8h. Apparemment, une envie d'aller aux toilettes ou une douleur peuvent attendre trois tartines. Non, je plaisante, en fait ces situations dans ce service doivent régulièrement attendre quelque soit le moment de la journée si bien qu'on voit des patients aller à la selle dans leur protection à défaut d'être conduits aux cabinets de toilettes. L'humiliation est forte, la honte insupportable. Et pourtant ils ne sont en rien responsables. Je voulais mettre en place la scène, c'est fait...

Que répondriez-vous à une dame en fin de vie qui vous demande pourquoi elle n'a pas de sonnette? Les explications de l'équipe : « c'est comme ça ». Cette femme est décédée en étant, sur sa situation de prise en charge, sacrément plus avancée. Voir une personne mourir dans le mépris du personnel, c'est franchement énervant ! Que répondriez-vous à une dame qui ne comprend pas pourquoi son aide à la toilette ne vient pas. L'équipe étant moins nombreuse elle a interrompu son travail pour pouvoir prendre sa pause à l'heure habituelle. Du coup vous vous contentez de hausser les épaules en ressentant de la culpabilité. Justifiée... vous êtes complices malgré vous. Quoique, au fond, n'est-ce pas pire d'être propre pendant que la femme en blanc énonce à voix forte à propos de votre voisine de chambre « Je me suiciderai avant de finir comme ça ». Celle-ci est diplômée depuis moins d'un an, ça promet... Hélas c'est la politique du « moins pire », l'hygiène prime (heureusement) sur les paroles douloureuses. C'est un « heureusement » timide et désabusé.

Un mardi le personnel est incroyablement nombreux, surprenant, surtout quand on voit que les toilettes vont au même rythme. Mercredi une inspection d'hygiène aura lieu, on comprend mieux! Du coup on assiste à un véritable théâtre burlesque : la moitié du personnel aide-soignant transformée en femmes de ménages. Il faut avouer, niveau saleté le service est bon : éviers bouchés avec des traces de moisissures, lits rarement désinfectés, bassines réutilisées éternellement, bref, la liste n'est pas exhaustive. Mais que fait le cadre de santé ? La rareté de son sexe dans la profession n'a d'égale que sa capacité à embaucher des belles jeunes femmes. Je voulais être cynique, c'est fait...

Tableau complètement noir ? Non, les infirmiers sont excellents et font preuve d'une volonté (et d'une patience que je me permettrais de qualifier de majestueuse, rien que ça) exemplaires. Les pauvres, on les plaint, ils mériteraient bien une minute de silence. D'ailleurs une infirmière est la première à admettre quand on précise qu'il reste des selles malgré une toilette faite « bon, on connaît le travail des aides-soignantes, ce qui compte, c'est votre conscience professionnelle ». Une fois passe, quand la fille d'une patiente se plaint, elles réagissent (changer une protection sans nettoyer le siège inondé d'urine, au niveau de la famille, ça fait mauvais genre) : il faut faire attention, « la famille de certains patients peut porter plainte ». Classe ! Cette dame hospitalisée qui clamait « ils profitent de ceux qui perdent la boule » ne perdrait-elle donc pas la sienne ?

En gros travailler mal, oui, mais avec ceux qui n'ont pas d'accès à la justice. Traiter des êtres humains comme des objets à l'usine, qui n'entendent pas les frustrations, humaines, certes, mais pas obligatoirement nécessaires à verbaliser à ce moment, qui ne sont que des éléments dans une chaîne, quand l'heure de la pause sonne ou quand c'est tout simplement irritant, on arrête on râle. Du boulot en dehors du paramédical et du social il y en a : bâtiment, informatique, logistique, énergie... On veut bosser avec de l'humain, on assume et sans concession !

A ma connaissance « On » n'est pas l'équivalent grammatical de « Vous » ou « Tu », « Mami » est un terme franchement familier, aussi bien que « on a fait caca », « elle est folle » n'est pas une expression adaptée en face de la personne a priori concernée par ce grossier dépassement de compétence, « oh elle a toujours mal » est une étrange banalisation de la douleur quand on transfère une personne d'un brancard à un lit comme un vulgaire sac de patates (et encore j'aurais été plus délicat avec celui-ci), l'aide à l'alimentation n'existe plus : on nourrit. Et avec plus de froideur qu'un sociopathe, avec la même cuillère pour le steak que pour le yaourt s'il vous plait. Ça vous plairait d'avoir des bouts de viandes dans votre laitage ? Et bien imaginez que cela se combine à ne pas avoir de sonnette, à être obligé d'aller à la selle dans votre protection faute d'assistance. Vieillir devient de moins en moins rassurant.
Mon ton est, je l'avoue, par moments emporté. Une raison l'excuse, je ne supporte pas de voir des êtres humains ne pas être aidés dans les conditions de respect dans lesquelles ils devraient l'être. Et qu'on ne m'énonce pas les pires conditions d'hospitalisation qu'on trouve sur Terre, j'en suis conscient, mais elles sont issues de situations économiques, sociales et politiques bien plus instables que celle de la France. Elles me révoltent d'autant plus...



Martin TOURNADRE


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