HAÏTI ET LES FONDS
DUVALIER : HONTE AU
TRIBUNAL FEDERAL SUISSE ! - 14
février 2010
Depuis près de 25 ans,
la Suisse abrite les
fonds du clan Duvalier,
notamment l'Union de
Banque Suisse (UBS) qui
détient à elle seule
quelque 7,6 millions de
francs suisse.
Le 12 janvier 2010, saisi
d'un recours déposé par
la fondation Simone Ovide
Duvalier,le Tribunal
fédéral suisse,
présidé par le Juge
Féraud assisté des
juges Aemisegger, Reeb,
Raselli et Eusebio,
décide qu'en raison de
la prescription, les
fonds en question doivent
être rendus au clan
Duvalier.
Quelques heures plus
tard, la terre tremble à
Haïti, Port-au-Prince
est entièrement
détruite, c'est une
catastrophe sans
précédent qui fait plus
de 200.000 morts et des
milliers de sans-abri,
blessés, affamés,
assoiffés et crevant
comme des mouches dans la
puanteur des cadavres en
décomposition. Les
secours tardent, ils sont
mal gérés et provoquent
des réactions
délirantes. L'Arrêt
(1C_374/2009) du Tribunal
fédéral, lui, ne sera
rendu public que le 3
février 2010. Le Conseil
fédéral réagit alors
immédiatement en
bloquant les fonds
contestés "jusqu'à
ce qu'une loi suisse
permette de les restituer
au peuple haïtien".
Entre-temps, c'est toute
une nation exsangue qui
sombre dans le
désespoir.
Voici le résumé de la
décision du Tribunal
fédéral qui a justifié
la décision d'urgence du
Conseil fédéral,
prévue par la
Constitution fédérale :
Le 4 avril 1986, le
Ministre des Affaires
Etrangères de la
République d'Haïti
présente à la Suisse
une demande d'entraide
judiciaire dans le cadre
d'une procédure pénale
dirigée contre
Jean-Claude Duvalier,
ex-président de la
République, et les
membres de sa famille.
Durant sa présidence, de
1971 jusqu'au 7 février
1986, Jean-Claude
Duvalier et ses proches
auraient détourné
environ 900 millions de
dollars au préjudice de
l'Etat haïtien. Une
partie est détenue par
la fondation Brouilly
dont Simone Ovide
Duvalier, mère du
dictateur Jean-Claude
Duvalier, était l'ayant
droit jusqu'à sa mort en
1977.
Par ordonnance du 2
septembre 1986, le Juge
d'instruction du Canton
de Genève entre en
matière. Le 2 août
1986, il ordonne la
transmission de documents
bancaires. L'Etat
requérant doit toutefois
"donner des
assurances spécifiques
et formelles".
Au mois de septembre
1991, le Président
Aristide, successeur de
Duvalier, est destitué.
Les garanties données le
27 août 1990 ne sont
plus d'actualité. De
nouvelles garanties sont
données le 27 novembre
1996, sur la validité
desquelles l'Office
Fédéral de la Justice
(OFJ) se prononce le 15
mai 2002.
C'est à ce stade que la
justice commence à
déraper.
"L'engagement ne
pouvait être considéré
comme suffisant, affirme
le Tribunal fédéral
dans son Arrêt du 12
janvier 2010, compte tenu
de l'instabilité des
institutions en Haïti,
notamment de la
succession des
gouvernements depuis
1996, des dénonciations
faites par les
organisations de
protection des droits de
l'homme et de l'absence
de progrès dans le
domaine des droits de
l'homme depuis le début
de la procédure
d'entraide seize ans
auparavant. Les contacts
établis avec l'Etat
requérant n'avaient pas
permis de constater une
réelle volonté de mener
à chef la procédure
dirigée contre
Jean-Claude Duvalier. On
pouvait même douter de
l'existence d'une telle
procédure. Incidemment,
l'OFJ a également
constaté que les faits
reprochés à Jean-Claude
Duvalier remontaient à
plus de 15 ans, de sorte
que la prescription
absolue était atteinte
en droit suisse".
Le 14 juin 2002,
désireux de restituer
ces fonds au peuple
haïtien et en
application de l'art. 184
al.3 Cst., le Conseil
fédéral ordonne leur
blocage pour 3 ans. Le 3
juin 2005, il prolonge ce
bocage de 2 ans dans
l'attente d'une issue
satisfaisante, puis d'un
an, le 22 août 2007.
Le 28 janvier 2008, le
Juge d'instruction
genevois déclare
définitivement
irrecevable une demande
d'entraide judiciaire du
12 juin 1986, en raison
de la prescription. Les
avoirs restent néanmoins
toujours bloqués
jusqu'au 31 août 2008,
en vertu de l'ordonnance
du Conseil fédéral.
Le 23 mai 2008, la
République d'Haïti, par
le biais d'un avocat
genevois, demande un
réexamen des décisions
précédentes, exposant
que Jean-Claude Duvalier
et ses complices font
l'objet d'une procédure
pénale en Haïti pour
des crimes contre
l'humanité, des crimes
financiers et des
infractions de corruption
et de détournements de
fonds au préjudice de
l'Etat. L'avocat fournit
les preuves que ces
détournements commis au
préjudice de l'Etat, ont
été accompagnés de
crimes contre l'humanité
(exécutions judiciaires,
disparitions forcées des
opposants au régime,
arrestations et
détentions arbitraires,
tortures), destinés à
maintenir l'organisation
du clan Duvalier. Or, ces
assassinats se
prescrivent par 30 ans en
droit suisse et sont
imprescriptibles en droit
haïtien.
Par décision du 11
février 2009, l'Office
Fédéral de la Justice
(OFJ) admet alors la
demande d'entraide du 12
juin 1986 et ordonne la
remise des fonds à la
population haïtienne par
le biais de projets
humanitaires et sociaux
dont le Département
fédéral de Justice et
Police veillera au suivi.
La fondation Brouilly de
Simone Ovide Duvalier
recourt contre cette
décision.
Par arrêt du 12 août
2009, la IIème Cour des
plaintes du Tribunal
pénal fédéral rejette
le recours formé par la
fondation, estimant que
les exactions commises
par le régime Duvalier
(purges et élimination
des opposants) et le
pillage systématique des
caisses de l'Etat sont
des faits notoires et que
Jean-Claude Duvalier
aurait retiré de ses
agissements une fortune
estimée entre 400 et 900
millions de dollars.
Le 24 août 2009, la
fondation Brouilly de
Simone Ovide Duvalier
adresse au Tribunal
fédéral un recours en
matière de droit public
contre la décision de la
IIème Cour des plaintes
du Tribunal pénal
fédéral. Invitée à se
prononcer sur le recours,
celle-ci maintient sa
décision du 12 août
2008 tandis que l'Office
Fédéral de la Justice
(OFJ) conclut au rejet du
recours par la fondation,
dans la mesure où
celui-ci est recevable.
A ce stade, le Tribunal
fédéral doit donc
trancher :
Soit les fonds Duvalier
ont été acquis de
manière tout à fait
licite et la prescription
de 15 ans pour les mettre
en cause est dépassée,
soit la fortune des
Duvalier est bel et bien
liée à des crimes
contre l'humanité, au
quel cas, la prescription
de 30 ans n'est pas
encore atteinte.
Le 12 janvier 2010,
contre toute attente, le
Tribunal fédéral admet
le recours de la
fondation. Il annule
l'arrêt du Tribunal
pénal fédéral du 12
août 2009 de même que
la décision de l'Office
fédéral de la Justice
du 11 février 2009 en
tant qu'elle concerne les
avoir de la recourante et
invite ce dernier
"à lever la saisie
ordonnée le 27 juin 2008
sur le compte 0240-598124
FM auprès de l'UBS
Genève". Le
Tribunal fédéral
décide en outre qu'il ne
sera pas perçu de frais
judiciaires et même,
qu'une indemnité de
dépens de Frs. 3.000.-,
à la charge de la
Confédération, est
allouée à la fondation
!
Le Conseil fédéral use
alors une nouvelle fois
de l'art. 184 al.3 Cst.
et bloque immédiatement
les avoirs, dans
l'attente de la création
d'une nouvelle loi qui
permettra de restituer
ces fonds au peuple
haïtien.
Ce feuilleton
juridico-politique
illustre parfaitement
l'instabilité des
institutions en Suisse.
Reste à venir
l'effondrement qui doit
logiquement en découler.
Le 9 février 2010, 28
jours après le séisme,
on dégage des décombres
de Port-au-Prince, un
jeune homme affaibli,
déshydraté mais
toujours en vie. Il dit
n'avoir jamais cessé de
prier. A Lausanne, les
juges Féraud,
Aemisegger, Reeb, Raselli
et Eusebio eux, se
portent bien, merci.
Cedric
Morgenstern
Correspondant www.fil-info-france.com
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