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De notre correspondante à Paris, Patricia Saint Clément


De la transformation de l'action syndicale
Copyright 2013 - Patricia Saint-Clément


De la transformation de l'action syndicale…
- 26 novembre 2013


Depuis quelques années on assiste à un délitement de la représentativité, les syndicats comme les partis politiques semblent incapables d’entendre les attentes des Français. Ces deux dernières années, de multiples actions ont été dans ce sens, on a vu apparaître des mouvements spontanés sur des faits de sociétés, les rassemblements syndicaux réunissent toujours moins de participants (ainsi, en Bretagne, les syndicats ont réuni, le 23 novembre, entre 6 et 13000 personnes quand les Bonnets Rouges avaient mobilisé jusqu'à 30 000 personnes à Quimper au début du mois) et la manière même de travailler de ceux qui sont élus par les salariés évolue. Le problème de la représentation syndicale n'est² pas nouveau en France. Bien loin de leurs homologues allemands en terme de puissance, les syndicats apparaissent souvent incapables de répondre aux enjeux propres à la crise et à une période de crispation. Pourtant on leur demande d'évoluer, de sortir du modèle qui a été le leur pendant des décennies et ça fonctionne, mais tous ne sont pas égaux devant le changement. Les exemples récents qui montrent des évolutions dans l'approche de certains sont plus souvent le fait d'initiatives personnelles que d'une volonté forte de ces organisations. Ces évolutions peuvent prendre plusieurs visages, allant de la substitution à un patronat défaillant, au refus de certains salariés d'être représentés par des organisations qu'ils accusent de les empêcher de travailler en passant par des nouveautés majeures dans le modèle de concertation.

Quand la CGT devient un entrepreneur comme les autres ...

Chez Pétroplus à Petit-Couronne, Yvon Scornet, le représentant de la CGT est devenu, pendant des mois, le meilleur ambassadeur de sa raffinerie. Face à une direction fantôme et un gouvernement absent ou divisé, il a mené les négociations, discuté des business plan avec les éventuels repreneurs en marge de la fédération Chimie (FNIC) de son syndicat. Si la raffinerie n'a pas été reprise, les syndicalistes de ce site ont fait évoluer le modèle, ils sont sortis d'un modèle basé sur la seule contestation, ne se sont pas appuyés sur la grève et la contestation. Leur approche semble faire des émules dans d'autres entreprises mais pas dans leurs propres instances. Déjà chez Petroplus on a assisté, après un accident dont a été victime Yvon Scornet, une reprise en main de la FNIC sur des bases bien plus orthodoxes. Le changement était néanmoins en marche !

En effet, plus récemment encore, la CGT a présenté un plan de reprise pour le groupe Kem One (ex-branche vinylique d'Arkéma dont Patrick Le Henaff a jugé bon se débarrasser au profit de Gary Klesh, un dépeceur d'entreprises au CV bien rempli). Un plan qui selon les dires d'autres représentants syndicaux comme Franck Zarbo de FO « est très en phase avec celui proposé par la direction du groupe ». Le projet Phoenix (http://www.cgt-complexe-petrochimique-lavera.fr/_media/questions-reponses.pdf) proposé par la CGT se développe autour d'une idée simple, il est possible de faire vivre Kem One dans le long terme si les collectivités et des industriels s'engagent dans un consortium. Le montage, sur lequel le syndicat a mandaté Maître Jean-Marie Valentin (plus habitué à représenter les entreprises du CAC 40 que les syndicats), se rapproche de ceux de repreneurs classiques. Le syndicat (qui plaide depuis plusieurs semaines pour que d'autres acteurs s'approprient Phoenix et vient d'envoyer un ultimatum au Premier Ministre) demande ainsi les mêmes garanties aux créanciers du groupe et à l'État que les autres repreneurs, le très agressif fonds de placement Open Gate et l'industriel Alain de Krassny. Il prévoit aussi des mesures de départ de salariés et propose une participation des salariés au capital de l'entreprise et de mobiliser la fiducie qui avait été réunie lors de la cession à Klesh. Philippe Lemarchand (CGT) rappelle d'ailleurs que « cette initiative, destinée à protéger les salariés si les choses tournaient mal, a été très critiquée par une partie de nos instances qui nous avait alors accusés de nous comporter comme des patrons » . Le CCE de Kem One réunit la semaine dernière a d'ailleurs décidé d'un référendum auprès des salariés sur l'utilisation de la fiducie pour assurer le financement du projet porté par la CGT. Un autre changement majeur dans les relations entre les instances élues et la base. Tout cela est en rupture par rapport au positions traditionnelles de Montreuil, la confédération CGT ayant toujours considéré que (la force du) travail et (du) capital ne pouvait pouvaient pas faire cause commune en dehors du cadre bien précis des SCOP.

Mais Philippe Lemarchand coordinateur CGT du groupe Kem One considère surtout que « face à l'urgence de la situation, il est nécessaire de sortir d'un modèle syndical vieillot, des grèves et des pneus qui brûlent pour construire un avenir qui peut exister estime pour le groupe ». Ce projet même s'il peine à trouver des partenaires a de la profondeur, il incite sans doute d'autres salariés d'usines en difficulté à se poser la question d'actions de ce genre et à envisager ce genre de montage avant qu'il ne soit trop tard.

C'est d'ailleurs ce que réclament depuis des mois les salariés de Fralib. Depuis qu'Unilever les a abandonnés et ne les paie plus, ils ont proposé plusieurs plans pour des reprises ou pour la création d'une SCOP. Chaque année environ 30 entreprises sont reprises par leurs salariés et ceux de Fralib estiment que le projet qu'ils ont remis dès fin 2012 à Benoît Hamon doit permettre cette évolution. Jusqu'à maintenant, ils ne sont pas parvenus à leurs fins et ce malgré une motivation sans faille mais cela a une explication. A la Confédération nationale des SCOP on explique « qu'il ne faut pas confondre les entreprises en difficulté reprisent par leurs salariés et des sites abandonnés par des multinationales. Le cas des Fralib est particulièrement compliqué parce qu'ils ont certainement beaucoup de bonne volonté et des idées mais ne disposent ni des approvisionnements et surtout pas des marques Éléphant et Lipton. Dans ces conditions la création d'une SCOP peut devenir très empirique ».

La loi sur l'économie sociale et solidaire présentée par Benoît Hamon, en discussion au Sénat, pourrait faire avancer le problème. Même si les dispositions de ce projet de loi concernent la reprise d'entreprises par leurs salariés (surtout en cas de cession volontaire, pour empêcher un manque de transmission qui est un problème majeur de l'économie française et détruit chaque année plus d'emplois que les défaillances d'entreprises), ces mesures pourraient faciliter plus largement le développement de ce modèle. Le texte prévoit en effet de créer un droit préférentiel de reprise par les salariés. Jusqu'à maintenant la lourdeur administrative, les besoins de fonds propres étaient des freins à ces initiatives. La création d'un modèle nouveau, une sorte de SCOP light qui permettrait aux salariés de garder la gouvernance tout en faisant appel pour les financements à des investisseurs désintéressés sur une période qui pourrait aller jusqu'à 7 ans est innovant et peut dans un certain nombre de cas répondre aux besoins de ces entreprises. Cette nouvelle construction qui ferait appel à des fonds spécialisés dans l'économie solidaire et au soutien des outils publics de financement des entreprises (BPI) est loin d'être une chimère et présente aussi l'intérêt de laisser du temps à ces repreneurs un peu hors norme. Les syndicalistes qui cherchent des solutions pour sauver les emplois de leurs collègues y trouveront sans doute motif de réflexion.

Il est possible qu'il y ait des échecs, les SCOP comme tous les acteurs de l'économie se heurtent aux problèmes de compétitivité et à des marchés difficiles. On a vu plusieurs reprises par des salariés péricliter quelques années après. On peut évoquer le cas de la SDAB, une entreprise bretonne de mareyage située à Carantec dans le Finistère, où bien avant que les bonnets rouges fassent la une de la presse et malgré toute leur motivation, les salariés ne sont jamais parvenus à équilibrer les comptes. Cette SCOP qui avait fait l'objet d'un reportage dans l’émission « Zone Interdite » sur M6 n'a pas non plus trouvé de repreneur, triste fin. Cependant, cette expérience permettra à d'autres de remontrer le succès ! Si les cas de reprises de SCOP par des acteurs économiques classiques sont difficiles à trouver, il y a certaines expériences qui montrent la solidité du modèle, ainsi il y a quelques années, la SCOP CAJEV, spécialiste de l'aménagement paysager situé à la Roche-sur-Yon (Vendée) a repris Sud Vendée Paysage, une autre SCOP alors en difficulté.

Il y a aussi des succès réels, Sea France est un exemple, malgré quelques tensions dans le management, parce qu'il n'est pas facile de passer de l'autre côté de la barre et parce que les objectifs ne sont pas les mêmes pour tous, le groupe a su repartir de l'avant et les perspectives sont positives. Les SCOP ce sont aussi des énormes succès. C'est le cas de Babolat, le fournisseur de raquettes et de cordage de Rafael Nadal et des meilleurs mondiaux, de SET, une entreprise spécialiste dans l'assemblage de composant électronique très haute précision dont les 32 salariés se sont battus pour préserver un savoir-faire français alors que la justice préférait à leur projet celui d'un groupe américain ou encore de Chèque Déjeuner, la SCOP multinationale !

Dans une période de crise profonde de l'industrie et du commerce, ce changement de cap du syndicalisme d'entreprise n'est pas anodin. Il démontre qu'il y a une fracture de plus en plus nette entre les centrales et les fédérations d'une part qui énoncent le dogme et la base qui en prise à la mondialisation et les difficultés propres à l'industrie françaises, cherche à trouver des réponses à moyen terme pour sauver l'emploi et sauvegarder des savoir-faire. Ces changements ne sont pas sans poser des problèmes notamment dans les relations entre les pouvoirs publics et les syndicats puisque le discours des uns vient en opposition de celui des autres. Dans ces conditions avec qui négocier ?

Pragmatisme ou manipulation du patronat ?

Ce sont les événements qui dictent la conduite du syndicaliste de terrain et face à certaines situations la seule réponse qui semble raisonnable est celle du pragmatisme. Ainsi, dans certaines entreprises, où sont ouvertes des négociations sur la flexibilité (après la validation de l'ANI et le vote de la loi qui découle du nouveau pacte social souhaité par François Hollande), des représentants syndicaux dont les centrales se sont opposées au modèle proposé par le gouvernement, acceptent-ils de signer les accords. Dans d'autres groupes on remarque des changements majeurs dans l'ordre des priorités et des négociations. La restructuration de l'usine pétrochimique de Total à Carling en est un exemple.

La direction a annoncé en septembre un plan de restructuration visant à arrêter l'activité du vapocraqueur et à installer d'autres activités. Situation trop fréquente dans une région déjà très touchée par la désindustrialisation, et exercice que Total n'a pas toujours bien géré dans le passé comme à la raffinerie des Flandres en 2010. Cette fois il semble que la direction du groupe ait choisi une nouvelle stratégie. Elle paraît, en effet, avoir d'abord ordonné des discussions préparatoires, en dehors même des procédures traditionnelles des CCE, pour écouter les salariés. Cela n’a pas permis de sauver tous les emplois, le bilan comptable en la matière est mauvais : plus de 200 postes seront supprimés. Les syndicats ont réagi lorsque le processus d'information consultation a été lancé. La CGT a fait grève, la CFDT syndicat majoritaire a menacé de suivre. La direction de TPF à Carling a désamorcé la crise en faisant œuvre de pédagogie et d’une transparence saluées par les salariés mais dont on peut se demander si elle n'était pas avant tout destinée, à isoler certains syndicats et à conditionner ceux dont les postes seront supprimés.

Fin du dogmatisme ou manière habile de contourner les syndicats, de les diviser pour mieux imposer les choix d’un groupe tout puissant ?

La question se pose et la réputation du directeur de cette branche, Patrick Pouyanné plaide plus en faveur d’une manière de passer outre les règles de négociations traditionnelles que d’une réelle volonté d’écoute. On peut d’ailleurs se demander quels sont les gains réels pour les salariés en dehors du sentiment – rassurant - d’être entendus par leur groupe.

Sur le papier, rien à redire, les premiers CCE se sont déroulés normalement, le droit du travail est respecté, mais sur le fond, on peut se demander si le CCE ne risque pas de devenir une simple chambre d’enregistrement, au détriment du respect des votes des élections internes.

En effet Total a lancé, en parallèle de la procédure immuable d'information-consultation puisqu’inscrite au Code du Travail, des négociations sur les mesures sociales découlant de ce plan et sur l'attractivité à venir du site. Négociations qui si elles font bondir Aldo Sclazo, secrétaire du CCE de l'Union Économique et Sociale (UES) Raffinage et Pétrochimie du groupe qui estime « qu'il n'est pas possible d'accepter un tel contournement de la loi et que cette manière de travailler aboutira à la présentation partielle du plan de restructuration au CCE et à un rejet par la majorité de ces représentants » semblent convenir parfaitement aux autres organisations syndicales. Tout cela dans un contexte où les alliances internes que certains soupçonnent téléguidés par la direction - avaient permis de minimiser la position de la CFDT dans les organes représentatifs. La direction beaucoup plus prolixe sur l’avenir du site ou des emplois que sur les méthodes de négociations doit quant à elle être ravie de négocier avec certains syndicats plutôt qu'avec d'autres jugés trop opposés à ces pratiques.

Les témoignages des représentants syndicaux, très préoccupés lors des premières annonces et qui restent vigilants mais qui apparaissent de plus en plus rassurés et même intéressés par le projet de restructuration sont significatifs de l’attente syndicale locale pour plus de transparence et plus de fluidité dans les relations patrons-syndicats. Geoffrey Caillon, délégué CFDT (syndicat majoritaire à Carling) estime que « cette manière de travailler presque à partir d'une page blanche nous a permis des avancées. Ce n'était pas acquis lors de la présentation du plan. Il a été possible de travailler sur tous les aspects du dossier et lorsqu'il y a eu des blocages, qui ne sont pas encore tous résolus, de chercher des solutions avec la direction ». Son homologue de la CFE-CGC, Isabelle Montaudon insiste sur le fait que « jamais une négociation n'a été aussi ouverte, que tous les sujets ont pu être abordés et que bien qu'agissant en priorité pour influencer les mesures d'ordres concernant les cadres, je trouve intéressante cette manière de parler des problèmes sur le fond. Tout en regrettant que les expertises présentées au CCE n'accompagnent pas mieux ces changements puisque les organismes désignés pour cela, notamment Cidecos, ne partagent pas cet esprit d'ouverture ». Aujourd'hui alors que le processus d'information consultation se poursuit, il y a déjà eu plus de huit réunions de concertation parallèles aux instances représentatives.

Cette négociation pose aussi le problème de la représentativité, Moselle et Concordat aidant, la CFTC se trouve être un syndicat incontournable à Carling mais non représentatif au niveau du groupe (puisque ne dépassant pas comme FO et Sud la barre des 10%). Cette difficulté, les syndicats et la direction de Total l'ont évitée en proposant une négociation propre à Carling, qui vient s'ajouter à celle menée au niveau du groupe. Ainsi la CFTC et son délégué énergique Jean-Marc Schoeter peuvent faire valoir leur point de vue et leurs différences par rapport aux autres organisations qu'il accusait à demi-mot « d'accompagner un peu trop la direction » en début de processus.

Si les syndicats reconnaissent la qualité des négociations, on peut néanmoins se poser la question des risques de manipulation. Quand on connaît la puissance d'un groupe comme Total, ses habitudes sociales à l'international, son attrait pour les pays aux législations environnementales et sociales peu contraignantes ou ses reniements concernant les promesses faites lors de l'arrêt de la raffinerie de Dunkerque, on peut se demander si ces accords résisteront dans le temps et si les dirigeants du groupe, Christophe de Margerie et Patrick Pouyanné respecteront leurs engagements une fois l'encre sèche.

En s'engageant dans cette voie, Total n'est il pas en train d'ouvrir une brèche dans les procédures de consultation et de s'arroger le droit à faire en sorte que le délit d'entrave devienne la norme ? C'est un sujet qui n'est pas anodin puisque face à un patronat de plus en plus déterminé à faire passer ses intérêts financiers et ceux de ses actionnaires, avant ceux des salariés, on risque à terme de voir des entreprises faire des choix dans les syndicats avec lesquels ils négocieront vraiment ou de se passer simplement de ces procédures. À Carling, Aldo Sclazo (CGT) s'agace d'une direction « qui ne parle qu'à la CFDT », son collègue FO de CCE, Franck Manchon rapporte les mêmes faits, quand Geoffrey Caillon CFDT se défend de faire le jeu des patrons et « préfère une approche négociée au conflit permanent ». Les positions sont l'une et l'autre défendables et avoir un syndicalisme de négociation peut devenir une force pour la France, à condition que les règles soient claires et pas adaptées en fonction des objectifs des plus forts. Chez Total, l'avis du CCE sur l'avenir du site de Carling, attendu le 5 décembre prochain, dira quelle approche l'emportera. On peut néanmoins ajouter que cette position de la part du premier groupe français est d'autant plus curieuse que le projet loi sur l'économie sociale et solidaire en cours de discussion, crée un dispositif d'information consultation et un droit à l'information pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Quand les salariés deviennent des agents de leurs patrons ...

Un dernier cas permet d'aller au bout de ce changement dans l'action et la représentativité. On a vu dans le commerce des réactions curieuses à de récentes décisions de justice initiées par l'intersyndicale CLIC-P. Celle-ci voulait défendre les salariés contre le travail de nuit ou le travail systématique le dimanche, elle a surtout fait apparaître au grand jour une nouvelle tendance. Celle qui amène des salariés à combattre l'action syndicale et le refus par une partie d'entre eux de se reconnaître dans les positions de leurs représentants. Les étonnantes manifestations largement médiatisées, des salariés de Séphora, des chaînes de magasins de bricolage, astucieusement appelés les Bricoleurs du Dimanche - nom si bien trouvé qu’il pourrait être tout droit issu d'un service communication ou marketing d'un des groupes incriminés - posent la question de la réelle spontanéité de ces actions. Voir des salariés exiger en lieu et place de leurs patrons que les syndicats censés les défendre soient déboutés de leurs demandes, par la justice, peut paraître cocasse.

D'ailleurs, la remarque de Karl Ghazi, CGT CLIC-P qui déclarait, lors de l'action en référé des salariés de Séphora « On confond tout : l’intérêt collectif, l’intérêt individuel et l’intérêt général. Si une centaine de personnes défilent devant le ministère de l’Intérieur pour pouvoir rouler à 200 km/h sur l’autoroute, il faut plier ?» n'est pas à prendre à la légère. On peut en effet se demander si ces changements et ce qui apparaît comme une volonté de faire évoluer le dialogue social n'est pas un moyen trouvé par les entreprises pour couper toute forme de résistance et si les salariés n'ont pas énormément à perdre lorsque des intérêts particuliers prennent le pas sur l'intérêt général. Après tout CLIC-P n'a qu'un objectif : faire respecter la loi.

Dernier élément intéressant, le conflit entre cette intersyndicale et les fédérations commerce des syndicats pourrait donner des idées à d'autres fédérations furieuses de voir leurs positions contredites par le terrain. Dès fin 2012, la Fédération commerce de la CGT a décidé de ne plus soutenir ce mouvement, sa secrétaire générale Michèle Chay estimant ne pas être « en accord avec les moyens mis en œuvre ». Plus récemment ce sont les représentants CFTC qui ont été exclus de leur fédération parce qu'ils ne « respectaient pas les règles internes de fonctionnement » mais surtout parce que ce syndicat, majoritaire dans le magasin Séphora des Champs-Élysées, n'a pas apprécié d'être pris à partie par ses électeurs. Ces exclusions sont assez rares pour être exemplaires et pourraient encourager des mesures de ce genre dans d'autres secteurs.

Un dernier rempart pour soutenir les salariés face au despotisme de la valeur boursière

Avec la crise, le changement dans l'entreprise a amené un durcissement des relations sociales. Les grands groupes ne peuvent plus décider de leurs politiques sans passer par les fourches caudines de la valeur boursière, quand les PME subissent chaque jour un peu plus la pression bancaire. Face à cette réalité, les restructuration et les changements de caps se multiplient et fragilisent toujours un peu plus la place des salariés. Dans ce contexte, les représentants de toutes les organisations syndicales évoquent la nouvelle place qu'ils tiennent dans l'entreprise et les nouveaux rôles qui leur sont dévolus. Le changement le plus marquant voit les représentants syndicaux devenir de quasi assistants sociaux, lorsque tout va mal. La compétition institutionnalisée, les plans d'économie qui se succèdent ou un patronat qui impose des changements contre l'avis des salariés ou s'organise pour les monter les uns contre les autres, font que les portes des locaux syndicaux s'ouvrent de plus en plus souvent pour accueillir toutes les détresses.

Dans son introduction au volumineux rapport remis au Président de la Poste, Jean-Paul Bailly, Jean Kaspar (CFDT) écrit ceci sur les évolutions du monde du travail. « (Il est) caractérisé par la restructuration quasi-permanente des activités industrielles et la montée en puissance d’une économie de service mondialisée et hyperconcurrentielle, pilotée par les multiples exigences du client. La mondialisation et les nouvelles technologies (…) imposent une adaptation continue de l’offre. Ce processus a entraîné l’émergence d’un nouveau paradigme, celui de la réorganisation permanente, de la réactivité et de la flexibilité, en même temps qu’il a renouvelé les modes de management. Ces évolutions ont quelques corollaires bien connus : l’individualisation des tâches et de l’évaluation, la polyvalence, le « juste-à-temps », le temps partiel, la mobilité géographique, l’externalisation qui peuvent entraîner un affaiblissement global des collectifs de travail et une désorientation des salariés. C’est là que résident la spécificité de notre époque et l’explication de l’émergence du thème du mal-être au travail au cours des deux dernières décennies. » Cet état des lieux est glacial et décrit ce qui entraîne une évolution majeure dans la vie des représentants syndicaux. Les témoignages sont les mêmes partout, plus les changements sont fréquents, plus leur rôle s'apparente à celui des assistants sociaux voire à un travail de psychologues.

Les témoignages sont nombreux. Chez Sanofi, qui a connu deux restructurations majeures en trois ans, Feyrel Ghadoum, déléguée CGT, raconte qu'il « ne se passe pas une semaine sans qu'on accueille des salariés en larme. Ils ne sont pas forcément concernés par des mesures de départ ou de mutation mais n'en peuvent plus de la pression qui leur est imposée, d'une direction qui veille à minimiser leur talent et leur savoir-faire et de se faire traiter de nuls en permanence ».

C'est aussi le constat que fait Patricia Lasalmonie, déléguée FO à la Poste quand elle dénonce « une politique de petit chef et une pression permanente, qui aboutissent parfois à des drames, mais plus souvent amène les salariés à venir chercher, dans les locaux des syndicats, juste une oreille attentive pour parler de leur mal-être parce que les RH ont pendant trop longtemps cessé de les écouter ». Ces témoignages on les a aussi entendus chez Orange, à la RATP.

Certains syndicalistes dénoncent aussi une organisation qui est mise en place pour diviser les salariés entre eux. La critique principale concerne le modèle de rémunération individualisée. L'immense majorité des représentants syndicaux la dénonce, par idéologie pour certain mais surtout parce qu'il a d'après eux un effet pervers sur les relations dans les équipes. Ainsi interrogé après un suicide chez CCP Composites dans le nord de la France, un représentant de l'union locale CGT affirmait « Aujourd'hui la hiérarchie n'a même plus besoin de mettre la pression aux salariés, ils s'en chargent très bien entre eux. Et les effets sont d'autant plus lourds qu'il n'y a plus de frein à la violence des mots et des actes. Lorsqu'un N+1 met en œuvre un entretien d'évaluation avec un salarié, il a les mots pour dire ce qui va ou non et pour justifier son choix, ce n'est pas le cas quand un salarié de même niveau s'estimant pénalisé par un collègue décide de régler ses comptes. » Mais il ajoutait qu'il « ne croyait pas qu'un geste aussi définitif puisse trouver seulement son origine dans un mal être au travail. »

C'est aussi l’écho de ce discours qui résonne de plus en plus dans les bureaux des confédérations syndicales, où on défend les salariés mais sans se frotter de trop près ou assez souvent au vrai monde du travail, celui des entreprises, où la vie des salariés n'est pas un cas d'étude ou de colloques. Là aussi le changement est majeur et la fracture avec le terrain de plus en plus importante.

Evelyne Perrin écrivait en 2006 que dans un contexte de précarisation du travail et de difficulté de la représentation syndicale, « le patronat, notamment sous sa forme de multinationales, et les gouvernements de droite ou de gauche à orientation néo-libérale ou ultra-libérale ont déclenché une vaste offensive contre les salariés, en cassant et en remettant en cause une par une ses protections et garanties collectives » (Nouvelle Lutte des Classes). Si cette approche issue de la lutte des classes semble aujourd’hui obsolète il n’en reste pas moins que les solutions trouvées ne peuvent être équilibrées qu’en faisant vivre la démocratie dans le droit du travail. Jean Paul Bailly, en charge d’un rapport sur le travail du dimanche estime lui-même qu’aucune solution de long terme ne pourra être trouvée tant qu’on ne s’attellera pas à la question de la représentativité des organisations syndicales. Mais pour cela il faudrait aussi que les salariés eux-mêmes se mobilisent et comprennent que leur refus de prendre part aux votes internes ne peut que les amener à avoir des représentants qui ne les comprennent pas et ont des objectifs et des intérêts divergents des leurs…. Comme les électeurs Français ?


Patricia Saint Clément



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