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De notre correspondante à
Paris, Patricia Saint
Clément
Copyright 2013 - Patricia
Saint-Clément
De la transformation de l'action
syndicale
- 26
novembre 2013
Depuis quelques années on assiste à un
délitement de la représentativité, les
syndicats comme les partis politiques semblent
incapables dentendre les attentes des
Français. Ces deux dernières années, de
multiples actions ont été dans ce sens, on a vu
apparaître des mouvements spontanés sur des
faits de sociétés, les rassemblements syndicaux
réunissent toujours moins de participants
(ainsi, en Bretagne, les syndicats ont réuni, le
23 novembre, entre 6 et 13000 personnes quand les
Bonnets Rouges avaient mobilisé jusqu'à 30 000
personnes à Quimper au début du mois) et la
manière même de travailler de ceux qui sont
élus par les salariés évolue. Le problème de
la représentation syndicale n'est² pas nouveau
en France. Bien loin de leurs homologues
allemands en terme de puissance, les syndicats
apparaissent souvent incapables de répondre aux
enjeux propres à la crise et à une période de
crispation. Pourtant on leur demande d'évoluer,
de sortir du modèle qui a été le leur pendant
des décennies et ça fonctionne, mais tous ne
sont pas égaux devant le changement. Les
exemples récents qui montrent des évolutions
dans l'approche de certains sont plus souvent le
fait d'initiatives personnelles que d'une
volonté forte de ces organisations. Ces
évolutions peuvent prendre plusieurs visages,
allant de la substitution à un patronat
défaillant, au refus de certains salariés
d'être représentés par des organisations
qu'ils accusent de les empêcher de travailler en
passant par des nouveautés majeures dans le
modèle de concertation.
Quand la CGT devient un entrepreneur
comme les autres ...
Chez Pétroplus à Petit-Couronne, Yvon Scornet,
le représentant de la CGT est devenu, pendant
des mois, le meilleur ambassadeur de sa
raffinerie. Face à une direction fantôme et un
gouvernement absent ou divisé, il a mené les
négociations, discuté des business plan avec
les éventuels repreneurs en marge de la
fédération Chimie (FNIC) de son syndicat. Si la
raffinerie n'a pas été reprise, les
syndicalistes de ce site ont fait évoluer le
modèle, ils sont sortis d'un modèle basé sur
la seule contestation, ne se sont pas appuyés
sur la grève et la contestation. Leur approche
semble faire des émules dans d'autres
entreprises mais pas dans leurs propres
instances. Déjà chez Petroplus on a assisté,
après un accident dont a été victime Yvon
Scornet, une reprise en main de la FNIC sur des
bases bien plus orthodoxes. Le changement était
néanmoins en marche !
En effet, plus récemment encore, la CGT a
présenté un plan de reprise pour le groupe Kem
One (ex-branche vinylique d'Arkéma dont Patrick
Le Henaff a jugé bon se débarrasser au profit
de Gary Klesh, un dépeceur d'entreprises au CV
bien rempli). Un plan qui selon les dires
d'autres représentants syndicaux comme Franck
Zarbo de FO « est très en phase avec celui
proposé par la direction du groupe ». Le projet
Phoenix
(http://www.cgt-complexe-petrochimique-lavera.fr/_media/questions-reponses.pdf)
proposé par la CGT se développe autour d'une
idée simple, il est possible de faire vivre Kem
One dans le long terme si les collectivités et
des industriels s'engagent dans un consortium. Le
montage, sur lequel le syndicat a mandaté
Maître Jean-Marie Valentin (plus habitué à
représenter les entreprises du CAC 40 que les
syndicats), se rapproche de ceux de repreneurs
classiques. Le syndicat (qui plaide depuis
plusieurs semaines pour que d'autres acteurs
s'approprient Phoenix et vient d'envoyer un
ultimatum au Premier Ministre) demande ainsi les
mêmes garanties aux créanciers du groupe et à
l'État que les autres repreneurs, le très
agressif fonds de placement Open Gate et
l'industriel Alain de Krassny. Il prévoit aussi
des mesures de départ de salariés et propose
une participation des salariés au capital de
l'entreprise et de mobiliser la fiducie qui avait
été réunie lors de la cession à Klesh.
Philippe Lemarchand (CGT) rappelle d'ailleurs que
« cette initiative, destinée à protéger les
salariés si les choses tournaient mal, a été
très critiquée par une partie de nos instances
qui nous avait alors accusés de nous comporter
comme des patrons » . Le CCE de Kem One réunit
la semaine dernière a d'ailleurs décidé d'un
référendum auprès des salariés sur
l'utilisation de la fiducie pour assurer le
financement du projet porté par la CGT. Un autre
changement majeur dans les relations entre les
instances élues et la base. Tout cela est en
rupture par rapport au positions traditionnelles
de Montreuil, la confédération CGT ayant
toujours considéré que (la force du) travail et
(du) capital ne pouvait pouvaient pas faire cause
commune en dehors du cadre bien précis des SCOP.
Mais Philippe Lemarchand coordinateur CGT du
groupe Kem One considère surtout que « face à
l'urgence de la situation, il est nécessaire de
sortir d'un modèle syndical vieillot, des
grèves et des pneus qui brûlent pour construire
un avenir qui peut exister estime pour le groupe
». Ce projet même s'il peine à trouver des
partenaires a de la profondeur, il incite sans
doute d'autres salariés d'usines en difficulté
à se poser la question d'actions de ce genre et
à envisager ce genre de montage avant qu'il ne
soit trop tard.
C'est d'ailleurs ce que réclament depuis des
mois les salariés de Fralib. Depuis qu'Unilever
les a abandonnés et ne les paie plus, ils ont
proposé plusieurs plans pour des reprises ou
pour la création d'une SCOP. Chaque année
environ 30 entreprises sont reprises par leurs
salariés et ceux de Fralib estiment que le
projet qu'ils ont remis dès fin 2012 à Benoît
Hamon doit permettre cette évolution. Jusqu'à
maintenant, ils ne sont pas parvenus à leurs
fins et ce malgré une motivation sans faille
mais cela a une explication. A la Confédération
nationale des SCOP on explique « qu'il ne faut
pas confondre les entreprises en difficulté
reprisent par leurs salariés et des sites
abandonnés par des multinationales. Le cas des
Fralib est particulièrement compliqué parce
qu'ils ont certainement beaucoup de bonne
volonté et des idées mais ne disposent ni des
approvisionnements et surtout pas des marques
Éléphant et Lipton. Dans ces conditions la
création d'une SCOP peut devenir très empirique
».
La loi sur l'économie sociale et solidaire
présentée par Benoît Hamon, en discussion au
Sénat, pourrait faire avancer le problème.
Même si les dispositions de ce projet de loi
concernent la reprise d'entreprises par leurs
salariés (surtout en cas de cession volontaire,
pour empêcher un manque de transmission qui est
un problème majeur de l'économie française et
détruit chaque année plus d'emplois que les
défaillances d'entreprises), ces mesures
pourraient faciliter plus largement le
développement de ce modèle. Le texte prévoit
en effet de créer un droit préférentiel de
reprise par les salariés. Jusqu'à maintenant la
lourdeur administrative, les besoins de fonds
propres étaient des freins à ces initiatives.
La création d'un modèle nouveau, une sorte de
SCOP light qui permettrait aux salariés de
garder la gouvernance tout en faisant appel pour
les financements à des investisseurs
désintéressés sur une période qui pourrait
aller jusqu'à 7 ans est innovant et peut dans un
certain nombre de cas répondre aux besoins de
ces entreprises. Cette nouvelle construction qui
ferait appel à des fonds spécialisés dans
l'économie solidaire et au soutien des outils
publics de financement des entreprises (BPI) est
loin d'être une chimère et présente aussi
l'intérêt de laisser du temps à ces repreneurs
un peu hors norme. Les syndicalistes qui
cherchent des solutions pour sauver les emplois
de leurs collègues y trouveront sans doute motif
de réflexion.
Il est possible qu'il y ait des échecs, les SCOP
comme tous les acteurs de l'économie se heurtent
aux problèmes de compétitivité et à des
marchés difficiles. On a vu plusieurs reprises
par des salariés péricliter quelques années
après. On peut évoquer le cas de la SDAB, une
entreprise bretonne de mareyage située à
Carantec dans le Finistère, où bien avant que
les bonnets rouges fassent la une de la presse et
malgré toute leur motivation, les salariés ne
sont jamais parvenus à équilibrer les comptes.
Cette SCOP qui avait fait l'objet d'un reportage
dans lémission « Zone Interdite » sur M6
n'a pas non plus trouvé de repreneur, triste
fin. Cependant, cette expérience permettra à
d'autres de remontrer le succès ! Si les cas de
reprises de SCOP par des acteurs économiques
classiques sont difficiles à trouver, il y a
certaines expériences qui montrent la solidité
du modèle, ainsi il y a quelques années, la
SCOP CAJEV, spécialiste de l'aménagement
paysager situé à la Roche-sur-Yon (Vendée) a
repris Sud Vendée Paysage, une autre SCOP alors
en difficulté.
Il y a aussi des succès réels, Sea France est
un exemple, malgré quelques tensions dans le
management, parce qu'il n'est pas facile de
passer de l'autre côté de la barre et parce que
les objectifs ne sont pas les mêmes pour tous,
le groupe a su repartir de l'avant et les
perspectives sont positives. Les SCOP ce sont
aussi des énormes succès. C'est le cas de
Babolat, le fournisseur de raquettes et de
cordage de Rafael Nadal et des meilleurs
mondiaux, de SET, une entreprise spécialiste
dans l'assemblage de composant électronique
très haute précision dont les 32 salariés se
sont battus pour préserver un savoir-faire
français alors que la justice préférait à
leur projet celui d'un groupe américain ou
encore de Chèque Déjeuner, la SCOP
multinationale !
Dans une période de crise profonde de
l'industrie et du commerce, ce changement de cap
du syndicalisme d'entreprise n'est pas anodin. Il
démontre qu'il y a une fracture de plus en plus
nette entre les centrales et les fédérations
d'une part qui énoncent le dogme et la base qui
en prise à la mondialisation et les difficultés
propres à l'industrie françaises, cherche à
trouver des réponses à moyen terme pour sauver
l'emploi et sauvegarder des savoir-faire. Ces
changements ne sont pas sans poser des problèmes
notamment dans les relations entre les pouvoirs
publics et les syndicats puisque le discours des
uns vient en opposition de celui des autres. Dans
ces conditions avec qui négocier ?
Pragmatisme ou manipulation du patronat ?
Ce sont les événements qui dictent la conduite
du syndicaliste de terrain et face à certaines
situations la seule réponse qui semble
raisonnable est celle du pragmatisme. Ainsi, dans
certaines entreprises, où sont ouvertes des
négociations sur la flexibilité (après la
validation de l'ANI et le vote de la loi qui
découle du nouveau pacte social souhaité par
François Hollande), des représentants syndicaux
dont les centrales se sont opposées au modèle
proposé par le gouvernement, acceptent-ils de
signer les accords. Dans d'autres groupes on
remarque des changements majeurs dans l'ordre des
priorités et des négociations. La
restructuration de l'usine pétrochimique de
Total à Carling en est un exemple.
La direction a annoncé en septembre un plan de
restructuration visant à arrêter l'activité du
vapocraqueur et à installer d'autres activités.
Situation trop fréquente dans une région déjà
très touchée par la désindustrialisation, et
exercice que Total n'a pas toujours bien géré
dans le passé comme à la raffinerie des
Flandres en 2010. Cette fois il semble que la
direction du groupe ait choisi une nouvelle
stratégie. Elle paraît, en effet, avoir d'abord
ordonné des discussions préparatoires, en
dehors même des procédures traditionnelles des
CCE, pour écouter les salariés. Cela na
pas permis de sauver tous les emplois, le bilan
comptable en la matière est mauvais : plus de
200 postes seront supprimés. Les syndicats ont
réagi lorsque le processus d'information
consultation a été lancé. La CGT a fait
grève, la CFDT syndicat majoritaire a menacé de
suivre. La direction de TPF à Carling a
désamorcé la crise en faisant uvre de
pédagogie et dune transparence saluées
par les salariés mais dont on peut se demander
si elle n'était pas avant tout destinée, à
isoler certains syndicats et à conditionner ceux
dont les postes seront supprimés.
Fin du dogmatisme ou manière habile de
contourner les syndicats, de les diviser pour
mieux imposer les choix dun groupe tout
puissant ?
La question se pose et la réputation du
directeur de cette branche, Patrick Pouyanné
plaide plus en faveur dune manière de
passer outre les règles de négociations
traditionnelles que dune réelle volonté
découte. On peut dailleurs se
demander quels sont les gains réels pour les
salariés en dehors du sentiment rassurant
- dêtre entendus par leur groupe.
Sur le papier, rien à redire, les premiers CCE
se sont déroulés normalement, le droit du
travail est respecté, mais sur le fond, on peut
se demander si le CCE ne risque pas de devenir
une simple chambre denregistrement, au
détriment du respect des votes des élections
internes.
En effet Total a lancé, en parallèle de la
procédure immuable d'information-consultation
puisquinscrite au Code du Travail, des
négociations sur les mesures sociales découlant
de ce plan et sur l'attractivité à venir du
site. Négociations qui si elles font bondir Aldo
Sclazo, secrétaire du CCE de l'Union Économique
et Sociale (UES) Raffinage et Pétrochimie du
groupe qui estime « qu'il n'est pas possible
d'accepter un tel contournement de la loi et que
cette manière de travailler aboutira à la
présentation partielle du plan de
restructuration au CCE et à un rejet par la
majorité de ces représentants » semblent
convenir parfaitement aux autres organisations
syndicales. Tout cela dans un contexte où les
alliances internes que certains soupçonnent
téléguidés par la direction - avaient permis
de minimiser la position de la CFDT dans les
organes représentatifs. La direction beaucoup
plus prolixe sur lavenir du site ou des
emplois que sur les méthodes de négociations
doit quant à elle être ravie de négocier avec
certains syndicats plutôt qu'avec d'autres
jugés trop opposés à ces pratiques.
Les témoignages des représentants syndicaux,
très préoccupés lors des premières annonces
et qui restent vigilants mais qui apparaissent de
plus en plus rassurés et même intéressés par
le projet de restructuration sont significatifs
de lattente syndicale locale pour plus de
transparence et plus de fluidité dans les
relations patrons-syndicats. Geoffrey Caillon,
délégué CFDT (syndicat majoritaire à Carling)
estime que « cette manière de travailler
presque à partir d'une page blanche nous a
permis des avancées. Ce n'était pas acquis lors
de la présentation du plan. Il a été possible
de travailler sur tous les aspects du dossier et
lorsqu'il y a eu des blocages, qui ne sont pas
encore tous résolus, de chercher des solutions
avec la direction ». Son homologue de la
CFE-CGC, Isabelle Montaudon insiste sur le fait
que « jamais une négociation n'a été aussi
ouverte, que tous les sujets ont pu être
abordés et que bien qu'agissant en priorité
pour influencer les mesures d'ordres concernant
les cadres, je trouve intéressante cette
manière de parler des problèmes sur le fond.
Tout en regrettant que les expertises
présentées au CCE n'accompagnent pas mieux ces
changements puisque les organismes désignés
pour cela, notamment Cidecos, ne partagent pas
cet esprit d'ouverture ». Aujourd'hui alors que
le processus d'information consultation se
poursuit, il y a déjà eu plus de huit réunions
de concertation parallèles aux instances
représentatives.
Cette négociation pose aussi le problème de la
représentativité, Moselle et Concordat aidant,
la CFTC se trouve être un syndicat
incontournable à Carling mais non représentatif
au niveau du groupe (puisque ne dépassant pas
comme FO et Sud la barre des 10%). Cette
difficulté, les syndicats et la direction de
Total l'ont évitée en proposant une
négociation propre à Carling, qui vient
s'ajouter à celle menée au niveau du groupe.
Ainsi la CFTC et son délégué énergique
Jean-Marc Schoeter peuvent faire valoir leur
point de vue et leurs différences par rapport
aux autres organisations qu'il accusait à
demi-mot « d'accompagner un peu trop la
direction » en début de processus.
Si les syndicats reconnaissent la qualité des
négociations, on peut néanmoins se poser la
question des risques de manipulation. Quand on
connaît la puissance d'un groupe comme Total,
ses habitudes sociales à l'international, son
attrait pour les pays aux législations
environnementales et sociales peu contraignantes
ou ses reniements concernant les promesses faites
lors de l'arrêt de la raffinerie de Dunkerque,
on peut se demander si ces accords résisteront
dans le temps et si les dirigeants du groupe,
Christophe de Margerie et Patrick Pouyanné
respecteront leurs engagements une fois l'encre
sèche.
En s'engageant dans cette voie, Total n'est il
pas en train d'ouvrir une brèche dans les
procédures de consultation et de s'arroger le
droit à faire en sorte que le délit d'entrave
devienne la norme ? C'est un sujet qui n'est pas
anodin puisque face à un patronat de plus en
plus déterminé à faire passer ses intérêts
financiers et ceux de ses actionnaires, avant
ceux des salariés, on risque à terme de voir
des entreprises faire des choix dans les
syndicats avec lesquels ils négocieront vraiment
ou de se passer simplement de ces procédures. À
Carling, Aldo Sclazo (CGT) s'agace d'une
direction « qui ne parle qu'à la CFDT », son
collègue FO de CCE, Franck Manchon rapporte les
mêmes faits, quand Geoffrey Caillon CFDT se
défend de faire le jeu des patrons et «
préfère une approche négociée au conflit
permanent ». Les positions sont l'une et l'autre
défendables et avoir un syndicalisme de
négociation peut devenir une force pour la
France, à condition que les règles soient
claires et pas adaptées en fonction des
objectifs des plus forts. Chez Total, l'avis du
CCE sur l'avenir du site de Carling, attendu le 5
décembre prochain, dira quelle approche
l'emportera. On peut néanmoins ajouter que cette
position de la part du premier groupe français
est d'autant plus curieuse que le projet loi sur
l'économie sociale et solidaire en cours de
discussion, crée un dispositif d'information
consultation et un droit à l'information pour
les entreprises de moins de 50 salariés.
Quand les salariés deviennent des agents
de leurs patrons ...
Un dernier cas permet d'aller au bout de ce
changement dans l'action et la
représentativité. On a vu dans le commerce des
réactions curieuses à de récentes décisions
de justice initiées par l'intersyndicale CLIC-P.
Celle-ci voulait défendre les salariés contre
le travail de nuit ou le travail systématique le
dimanche, elle a surtout fait apparaître au
grand jour une nouvelle tendance. Celle qui
amène des salariés à combattre l'action
syndicale et le refus par une partie d'entre eux
de se reconnaître dans les positions de leurs
représentants. Les étonnantes manifestations
largement médiatisées, des salariés de
Séphora, des chaînes de magasins de bricolage,
astucieusement appelés les Bricoleurs du
Dimanche - nom si bien trouvé quil
pourrait être tout droit issu d'un service
communication ou marketing d'un des groupes
incriminés - posent la question de la réelle
spontanéité de ces actions. Voir des salariés
exiger en lieu et place de leurs patrons que les
syndicats censés les défendre soient déboutés
de leurs demandes, par la justice, peut paraître
cocasse.
D'ailleurs, la remarque de Karl Ghazi, CGT CLIC-P
qui déclarait, lors de l'action en référé des
salariés de Séphora « On confond tout :
lintérêt collectif, lintérêt
individuel et lintérêt général. Si une
centaine de personnes défilent devant le
ministère de lIntérieur pour pouvoir
rouler à 200 km/h sur lautoroute, il faut
plier ?» n'est pas à prendre à la légère. On
peut en effet se demander si ces changements et
ce qui apparaît comme une volonté de faire
évoluer le dialogue social n'est pas un moyen
trouvé par les entreprises pour couper toute
forme de résistance et si les salariés n'ont
pas énormément à perdre lorsque des intérêts
particuliers prennent le pas sur l'intérêt
général. Après tout CLIC-P n'a qu'un objectif
: faire respecter la loi.
Dernier élément intéressant, le conflit entre
cette intersyndicale et les fédérations
commerce des syndicats pourrait donner des idées
à d'autres fédérations furieuses de voir leurs
positions contredites par le terrain. Dès fin
2012, la Fédération commerce de la CGT a
décidé de ne plus soutenir ce mouvement, sa
secrétaire générale Michèle Chay estimant ne
pas être « en accord avec les moyens mis en
uvre ». Plus récemment ce sont les
représentants CFTC qui ont été exclus de leur
fédération parce qu'ils ne « respectaient pas
les règles internes de fonctionnement » mais
surtout parce que ce syndicat, majoritaire dans
le magasin Séphora des Champs-Élysées, n'a pas
apprécié d'être pris à partie par ses
électeurs. Ces exclusions sont assez rares pour
être exemplaires et pourraient encourager des
mesures de ce genre dans d'autres secteurs.
Un dernier rempart pour soutenir les
salariés face au despotisme de la valeur
boursière
Avec la crise, le changement dans l'entreprise a
amené un durcissement des relations sociales.
Les grands groupes ne peuvent plus décider de
leurs politiques sans passer par les fourches
caudines de la valeur boursière, quand les PME
subissent chaque jour un peu plus la pression
bancaire. Face à cette réalité, les
restructuration et les changements de caps se
multiplient et fragilisent toujours un peu plus
la place des salariés. Dans ce contexte, les
représentants de toutes les organisations
syndicales évoquent la nouvelle place qu'ils
tiennent dans l'entreprise et les nouveaux rôles
qui leur sont dévolus. Le changement le plus
marquant voit les représentants syndicaux
devenir de quasi assistants sociaux, lorsque tout
va mal. La compétition institutionnalisée, les
plans d'économie qui se succèdent ou un
patronat qui impose des changements contre l'avis
des salariés ou s'organise pour les monter les
uns contre les autres, font que les portes des
locaux syndicaux s'ouvrent de plus en plus
souvent pour accueillir toutes les détresses.
Dans son introduction au volumineux rapport remis
au Président de la Poste, Jean-Paul Bailly, Jean
Kaspar (CFDT) écrit ceci sur les évolutions du
monde du travail. « (Il est) caractérisé par
la restructuration quasi-permanente des
activités industrielles et la montée en
puissance dune économie de service
mondialisée et hyperconcurrentielle, pilotée
par les multiples exigences du client. La
mondialisation et les nouvelles technologies
(
) imposent une adaptation continue de
loffre. Ce processus a entraîné
lémergence dun nouveau paradigme,
celui de la réorganisation permanente, de la
réactivité et de la flexibilité, en même
temps quil a renouvelé les modes de
management. Ces évolutions ont quelques
corollaires bien connus :
lindividualisation des tâches et de
lévaluation, la polyvalence, le «
juste-à-temps », le temps partiel, la mobilité
géographique, lexternalisation qui peuvent
entraîner un affaiblissement global des
collectifs de travail et une désorientation des
salariés. Cest là que résident la
spécificité de notre époque et
lexplication de lémergence du thème
du mal-être au travail au cours des deux
dernières décennies. » Cet état des lieux est
glacial et décrit ce qui entraîne une
évolution majeure dans la vie des représentants
syndicaux. Les témoignages sont les mêmes
partout, plus les changements sont fréquents,
plus leur rôle s'apparente à celui des
assistants sociaux voire à un travail de
psychologues.
Les témoignages sont nombreux. Chez Sanofi, qui
a connu deux restructurations majeures en trois
ans, Feyrel Ghadoum, déléguée CGT, raconte
qu'il « ne se passe pas une semaine sans qu'on
accueille des salariés en larme. Ils ne sont pas
forcément concernés par des mesures de départ
ou de mutation mais n'en peuvent plus de la
pression qui leur est imposée, d'une direction
qui veille à minimiser leur talent et leur
savoir-faire et de se faire traiter de nuls en
permanence ».
C'est aussi le constat que fait Patricia
Lasalmonie, déléguée FO à la Poste quand elle
dénonce « une politique de petit chef et une
pression permanente, qui aboutissent parfois à
des drames, mais plus souvent amène les
salariés à venir chercher, dans les locaux des
syndicats, juste une oreille attentive pour
parler de leur mal-être parce que les RH ont
pendant trop longtemps cessé de les écouter ».
Ces témoignages on les a aussi entendus chez
Orange, à la RATP.
Certains syndicalistes dénoncent aussi une
organisation qui est mise en place pour diviser
les salariés entre eux. La critique principale
concerne le modèle de rémunération
individualisée. L'immense majorité des
représentants syndicaux la dénonce, par
idéologie pour certain mais surtout parce qu'il
a d'après eux un effet pervers sur les relations
dans les équipes. Ainsi interrogé après un
suicide chez CCP Composites dans le nord de la
France, un représentant de l'union locale CGT
affirmait « Aujourd'hui la hiérarchie n'a même
plus besoin de mettre la pression aux salariés,
ils s'en chargent très bien entre eux. Et les
effets sont d'autant plus lourds qu'il n'y a plus
de frein à la violence des mots et des actes.
Lorsqu'un N+1 met en uvre un entretien
d'évaluation avec un salarié, il a les mots
pour dire ce qui va ou non et pour justifier son
choix, ce n'est pas le cas quand un salarié de
même niveau s'estimant pénalisé par un
collègue décide de régler ses comptes. » Mais
il ajoutait qu'il « ne croyait pas qu'un geste
aussi définitif puisse trouver seulement son
origine dans un mal être au travail. »
C'est aussi lécho de ce discours qui
résonne de plus en plus dans les bureaux des
confédérations syndicales, où on défend les
salariés mais sans se frotter de trop près ou
assez souvent au vrai monde du travail, celui des
entreprises, où la vie des salariés n'est pas
un cas d'étude ou de colloques. Là aussi le
changement est majeur et la fracture avec le
terrain de plus en plus importante.
Evelyne Perrin écrivait en 2006 que dans un
contexte de précarisation du travail et de
difficulté de la représentation syndicale, «
le patronat, notamment sous sa forme de
multinationales, et les gouvernements de droite
ou de gauche à orientation néo-libérale ou
ultra-libérale ont déclenché une vaste
offensive contre les salariés, en cassant et en
remettant en cause une par une ses protections et
garanties collectives » (Nouvelle Lutte des
Classes). Si cette approche issue de la lutte des
classes semble aujourdhui obsolète il
nen reste pas moins que les solutions
trouvées ne peuvent être équilibrées
quen faisant vivre la démocratie dans le
droit du travail. Jean Paul Bailly, en charge
dun rapport sur le travail du dimanche
estime lui-même quaucune solution de long
terme ne pourra être trouvée tant quon ne
sattellera pas à la question de la
représentativité des organisations syndicales.
Mais pour cela il faudrait aussi que les
salariés eux-mêmes se mobilisent et comprennent
que leur refus de prendre part aux votes internes
ne peut que les amener à avoir des
représentants qui ne les comprennent pas et ont
des objectifs et des intérêts divergents des
leurs
. Comme les électeurs Français ?
Patricia Saint Clément
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