15 juin 2003 ENTRETIEN DU
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES, M. DOMINIQUE
DE VILLEPIN,
AVEC "RADIO J" - EMISSION
"LE FORUM RADIO J"
Ndlr
: Radio Juive
-
EXTRAITS -Q - Merci d'être avec
nous pour aborder les grands dossiers de
politique internationale du moment comme
l'avenir de l'Europe avec les conclusions
de la Convention, présidée par
M. Giscard d'Estaing, comme
l'évolution de la situation en Irak et
de l'avenir des relations entre la France
et les Etats-Unis et bien entendu,
l'actualité du Proche-Orient.
Dix
jours après le Sommet d'Aqaba, même si
les négociations ont repris hier soir
entre Israéliens et Palestiniens, la
guerre est désormais totale entre
Israël et le Hamas.
Comment
réagissez-vous à ce nouvel engrenage de
la haine, de la terreur et de la peur que
nous avons connu ces derniers jours ?
Que
proposez-vous pour rétablir la confiance
entre les deux peuples ? Quel avenir pour
la feuille de route du Quartet ? Quid du
rôle de la France et de l'Europe dans
cette région du monde ?
Trois
semaines après votre voyage à
Jérusalem, croyez-vous à une nouvelle
lune de miel entre la France et Israël ?
Selon
vous, l'accord d'Aqaba a-t-il une chance
d'exister ou sommes-nous entrés à
nouveau dans la guerre ?
R - Si
vous le voulez bien, remettons les choses
en perspective. L'accord d'Aqaba se situe
dans le cadre d'un travail fait par la
communauté internationale, par le
Quartet qui réunit les Nations unies, la
Russie, les Etats-Unis et l'Union
européenne.
Toute la
communauté internationale est mobilisée
pour avancer vers la paix et aider les
deux parties à régler cette crise qui
n'a duré que trop longtemps. Ensuite,
les Américains se sont engagés et c'est
une bonne nouvelle.
Q - Et
ils seront engagés en l'absence de la
France et de l'Europe à Aqaba ?
R - Ils se
sont engagés dans un sommet qui est un
sommet des Etats-Unis avec les parties
mais il n'en reste pas moins que la
communauté internationale est fortement
engagée. Vous savez d'ailleurs tous à
quel point l'Europe a joué un rôle
déterminant dans la rédaction de la
feuille de route. Pour une large part,
nous avons porté, conçu, tout au long
de ces mois, la feuille de route et je
crois donc que le rôle de l'Europe ne
doit pas être diminué.
L'enjeu,
aujourd'hui, est bien d'être capable, à
la fois de faire preuve de détermination
car nous savons tous que c'est un chemin
difficile que celui de la paix et c'est
aussi un rappel de la nécessité d'agir
ensemble. Nous nous réjouissons de
l'engagement américain à Aqaba et à
Charm el Cheikh, mais il faut agir
ensemble et c'est un signal. Face aux
difficultés, nous serons plus forts pour
parvenir à régler les obstacles si nous
sommes tous mobilisés pour agir face aux
risques qui existent.
Q -
Cela va-t-il suffire ou la spirale de la
guerre n'est-elle pas à nouveau
enclenchée ?
R - Le
choix, nous le connaissons depuis
longtemps. Désormais, nous avons un
recul suffisant pour apprécier ce genre
de situations. Si aux premières
difficultés que nous vivons
actuellement, nous nous laissons prendre
en otage par les extrémistes, par les
groupes terroristes, alors constatons que
ce sont eux qui mènent le jeu et ce
n'est pas ce que nous souhaitons. Il faut
donc être capables d'agir avec
détermination et pour cela, il faut
être capables d'agir tous ensemble.
J'en
appelle donc à un engagement très
profond, plus fort encore de la
communauté internationale pour contrer
tous ceux qui, au moment où l'on parle
de paix, au moment où l'espoir revient,
se mobilisent pour bousculer, pour
écarter cette perspective.
Q -
Mais, dans votre esprit, jusqu'où les
Israéliens peuvent-ils aller pour
empêcher les terroristes de frapper
contre les civils ? Il y a là un
malentendu fondamental entre les
Israéliens qui disent qu'ils ont le
droit de lutter contre le terrorisme, de
liquider les chefs du Hamas, de tuer les
gens dans les territoires, et les
Européens qui disent halte aux
violences. Où est la légitimité ?
R - C'est
un débat très difficile et je n'aurai
certainement pas aujourd'hui la
prétention de posséder la vérité. Je
veux pourtant essayer d'approcher ce que
pourrait être un chemin. Israël a
droit, comme tout Etat, à défendre sa
sécurité ; c'est le premier devoir d'un
Etat.
Q -
Mais jusqu'où ?
R - La
question est de savoir, dans la crise que
connaît le Proche-Orient, comment
fait-on pour enclencher un processus de
paix qui rallie le plus grand nombre et
tous les jours davantage de monde pour
avancer vers la paix. Il est très
important, de ce point de vue, d'avancer
résolument dans la paix.
Q -
Vous prônez donc la retenue ?
R - Je
prône à la fois la retenue et une
avancée plus rapide.
Q - De
la part d'Israël ?
R - De la
part de tous ceux qui sont soucieux de
préserver la paix. Pourquoi ? Parce que
nous devons adresser des signaux, de part
et d'autre pour créer la confiance. La
paix, c'est à la fois la confiance et
c'est en même temps une énergie, une
volonté qui permet de dépasser à
chaque étape les difficultés.
Q -
Tout à l'heure, vous parliez des groupes
terroristes, considérez-vous que le
Hamas est une organisation terroriste ou
non ?
R - La
France dénonce toute forme de
terrorisme.
Q -
Oui, mais concernant le Hamas en
particulier ?
R - Sur
cette organisation, il y a sa branche
armée qui est condamnée en tant que
telle.
Q - En
tant que groupe terroriste ?
R - En
tant que groupe terroriste et évidemment
il n'est pas question de transiger avec
ces groupes. Pour le reste, il s'agit
bien, à chaque étape, de juger du
processus.
Q -
Est-il légitime de la part d'Israël de
vouloir, d'après le vocabulaire des
officiels israéliens, éradiquer le
terrorisme en ciblant les chefs
terroristes du Hamas ?
R - Lutter
contre le terrorisme, c'est l'évidence,
c'est nécessaire. La question, c'est
comment fait-on pour qu'une politique de
sécurité qui est légitime ne conduise
pas à plus d'insécurité. Pour faire
cela, il faut que la politique de
sécurité s'accompagne d'un effort pour
enclencher un processus.
Q -
Est-ce que cela a été fait à Aqaba et
après ?
R - C'est
ce qu'il faut faire tous les jours. Ce
n'est pas quelque chose que l'on fait une
fois pour toutes, c'est quelque chose
qu'il faut faire tous les jours. Comment
fait-on pour renforcer le camp de la paix
? Comment fait-on pour créer une
confiance toujours plus importante ?
Ce qui est
important, c'est que les messages
adressés par Israël aux Palestiniens
permettent de rassembler tous les jours
davantage de Palestiniens qui croiront
davantage en la paix, auront le sentiment
que c'est bien de ce côté-ci qu'il faut
se situer et non pas renforcer le clan
des sceptiques, ceux qui rejettent la
perspective de paix.
Q - Et
aujourd'hui, êtes-vous sceptique ou
optimiste ?
R - Je
suis volontaire et je crois qu'il faut
tout faire pour avancer vers la paix.
Quel est le constat que nous pouvons
faire durant ces derniers mois ? C'est
qu'une politique qui mise sur la seule
sécurité n'évite pas le regain de
terrorisme. La paix est donc aujourd'hui
indispensable pour cette région. Nous le
voyons bien du côté israélien comme du
côté palestinien, il y a une profonde
lassitude, il y a aujourd'hui un prix
pour la sécurité et pour ce climat de
guerre qui est terrifiant au regard des
conséquences économiques, humaines. On
se rend bien compte qu'il faut prendre un
risque, en effet, mais ce risque est
celui de la paix.
Q -
Lequel ?
R - Ce
risque, c'est celui de la paix, celui
d'unir nos volontés, celui de nous
mettre tous ensemble pour garantir un
processus.
Alors, je
sais qu'il y a beaucoup d'inquiétudes et
de craintes des deux côtés. D'une part,
Israël doit savoir que nous faisons
partie des Etats qui garantissent la
sécurité d'Israël. Nous n'accepterons
jamais qu'Israël soit remise en cause.
De la même façon, il faut créer un
chemin, créer un itinéraire pour que
les Palestiniens puissent trouver leur
pleine dignité, leur plein
épanouissement et ma conviction
profonde, c'est que l'intérêt d'Israël
est d'avoir à ses côtés un Etat
clairement identifié, un Etat
palestinien plutôt que cette zone
d'ombre qui aujourd'hui peut nourrir tous
les jours davantage le terrorisme.
Q -
Comme Ariel Sharon l'a dit à Aqaba, il
faut un Etat palestinien ?
R - Tout
à fait, et je crois que les convictions
qu'il a exprimées, les mots qu'il a
employés sont des mots très importants
et font date.
Q -
Mais le Hamas continue d'affirmer qu'il
ne veut pas un seul Juif sur ce qu'il
appelle la terre de Palestine,
c'est-à-dire leur terre dans leur
langage. C'est donc aussi une guerre
totale contre Israël. On ne peut pas
parler de modération dans la riposte,
peut-on accepter un attentat qui fait 3
morts et un autre où il y aura 17 morts
? Aucun attentat ne peut être accepté.
Sommes-nous d'accord ?
R - Bien
sûr, nous sommes tout à fait d'accord
là-dessus. Il est bien évident que l'on
ne peut accepter aucun attentat. La
question est : comment fait-on, face à
ces attentats, pour sortir de la
situation ?
Q -
Pourront-ils faire l'économie d'une
guerre civile ?
R -
D'abord, constatons un phénomène très
important sur lequel l'Histoire ne laisse
pas de doute : répondre à la violence
par la violence n'a jamais réglé aucune
situation.
Q -
Alors quelle est la réponse ?
R - La
réponse consiste à faire preuve de
détermination, à mener une politique de
sécurité forte mais en même temps, à
avancer résolument dans la voie d'une
politique de paix. C'est en cela qu'il
faut isoler le plus possible tous ceux
qui choisissent la violence et réduire
les soutiens dont ils peuvent disposer,
en créant une dynamique irréversible de
paix.
Q - On
ne les isole pas politiquement, on ne
peut les isoler que par la violence ?
R -
Coupons-les de tout soutien. Le problème
du terrorisme, c'est que, très souvent,
il vit de complicité, de soutiens, d'une
certaine idée et notamment de celle
qu'il n'y a pas d'avenir pour le peuple
palestinien. C'est le cas du terrorisme
qui s'exprime aujourd'hui dans les
Territoires. A partir du moment où une
dynamique de paix est créée, le peuple
palestinien aura vite fait de choisir
parce que ce qu'il souhaite, c'est
retrouver une vie normale.
Q -
Vous dites un fort engagement de la
communauté internationale. Vous dites de
ne pas laisser les protagonistes face à
face dans cette violence, une force
d'interposition serait-elle une solution
?
R - De ce
point de vue, tout est possible et je
voudrais dire à quel point cette crise
du Proche-Orient, ce conflit, mobilisent,
à un point sans comparaison, toute la
communauté internationale ; pour avancer
dans le règlement de cette crise, nous
sommes prêts à faire tout ce qui est
nécessaire.
Q -
Sans comparaison à d'autres périodes ?
R -
Aujourd'hui, c'est la crise et il y a un
accord unanime qui justifie toute la
mobilisation de la communauté
internationale. S'il faut garantir un
processus, nous sommes prêts à nous
mobiliser pour se faire.
De ce
point de vue, au niveau européen, il y a
une unité totale car nous sommes
conscients que c'est un enjeu essentiel
pour la région, pour Israël, pour ce
peuple qui souffre de l'insécurité,
pour le peuple palestinien qui veut avoir
un avenir ; c'est un enjeu pour la
sécurité de l'Europe, pour la
sécurité du monde.
Il n'y a
pas d'autre crise aussi exemplaire pour
l'Europe et pour la France qui justifie
à ce point un engagement total. Nous
sommes prêts à faire tout ce qu'il
faut. Nous l'avons dit à nos amis
américains, je l'ai dit à nos amis
israéliens et palestiniens. Il y a
vraiment une mobilisation totale sur
cette crise. A partir de là, il faut se
poser la question de savoir quel est le
meilleur moyen d'agir.
Q -
Pour vous, c'est quoi lorsque l'on parle
de forces d'interposition, cela fait-il
partie du scénario français ou non ?
R - En
matière internationale, il faut être
têtu. Nous avons une feuille de route,
c'est un miracle, elle est acceptée par
tout le monde. Elle est acceptée par les
deux parties, par les Arabes, y compris
par les pays dits radicaux, elle est
acceptée par la communauté
internationale. Alors, mettons-la en
uvre. Quel poids faut-il pour
garantir ce processus ? Faut-il déployer
des forces, faut-il mobiliser des
Américains, des Européens, des membres
de la communauté internationale ?
Faisons-le, évaluons à chaque étape en
fonction des difficultés et je
rappellerai que ce qui se passe
aujourd'hui au Proche-Orient n'est pas
une surprise. Nous savons bien qu'un
processus qui avance est un processus qui
déchaîne forcément le pire et la
violence des radicaux, de ceux qui
veulent empêcher ce processus. A partir
de là, il faut donc faire ce qu'il faut
à chaque étape.
Q - A
tous les sens du terme, cette idée de
force d'interposition prend-elle corps ?
R - Nous
avons un premier défi aujourd'hui qui
est celui de bâtir un mécanisme de
supervision du processus qui sera mis en
uvre. Les Américains souhaitent
jouer un rôle essentiel dans ce
mécanisme. Je pense, je l'ai dit à
Colin Powell, que nous serons plus forts
si nous sommes tous ensemble engagés
pour soutenir ce processus.
Q - De
quelle manière concernant la force
d'interposition ? La force
d'interposition est une chose, mais la
force de supervision en est une autre, ce
n'est pas la même chose ?
R - Ce
n'est pas la même chose. Engageons-nous
tous ensemble dans ce mécanisme de
supervision. Si une force d'interposition
s'avère nécessaire, je suis convaincu
qu'il s'agit de faire respecter la
sécurité, il vaudrait beaucoup mieux
que cela soit assuré par une force
internationale que par une partie seule.
Q -
Mais les Israéliens sont d'accord pour
la force de supervision qui fait partie
de la carte routière prévue, mais ils
ne sont pas d'accord pour l'interposition
puisqu'ils ont déjà payé le prix
notamment au Sud-Liban de ces forces qui
ne servaient à rien.
R - Oui,
mais nous avons fait certains progrès
depuis le Sud-Liban. La communauté
internationale n'est pas une matière
molle : elle réfléchit, constate, tire
des leçons et dans les Balkans, la
nature de la force internationale mise en
place a évolué. La France en sait
quelque chose puisqu'elle a décidé que
cette force ne devait pas rester inerte.
C'est le président Chirac,
souvenez-vous, qui a décidé que cette
force devait riposter si nécessaire.
Je crois
donc que la communauté internationale
grandit, mûrit et qu'elle n'accepte pas
l'impuissance. Entre la logique de guerre
telle que nous l'avons connue en Irak et
le statu quo, la France dit clairement
les choses. Nous pensons que la logique
de guerre doit être évidemment
discutée avec mesure. Elle n'est pas
toujours bonne et parfois, elle complique
les choses. Mais nous pensons que le
statu quo et l'impuissance ne sont pas
acceptables non plus. Il faut donc
trouver ensemble le moyen d'agir et si
une force d'interposition s'avère
nécessaire, si l'ensemble des parties le
souhaitent, évidemment la communauté
internationale la décidera. L'une des
grandes règles de la vie internationale,
c'est que lorsque vous envoyez une force
quelque part, il faut qu'elle ait le
soutien de tous.
Nous
venons de vivre cette situation une
nouvelle fois au Congo. La question qu'a
posée la France pour s'engager au Congo,
envoyer à Bunia une force qui permettra
de pacifier la ville et je l'espère
au-delà, c'est que tous soient d'accord
: l'Ouganda, le Rwanda et le Congo.
Q -
Vous verriez la France faire la même
chose dans les Territoires ?
R - Mais
la France veut la paix et est donc prête
à faire ce qu'il faut. Nous sommes
prêts dans le cadre d'un travail et
d'une responsabilité de la communauté
internationale à nous engager à la
mesure de ce qui est nécessaire. Il n'y
a qu'une seule chose que je sais : c'est
qu'aujourd'hui, laisser faire, laisser se
déchaîner la violence sans rien faire,
c'est la pire des solutions.
Q - La
France tirerait sur des Palestiniens qui
essaieraient de s'introduire en Israël
s'il y avait des Français ?
R - Si une
force était créée et qu'il y ait un
principe clair de responsabilité, qu'il
s'agissait de défendre la paix, la
France ferait ce qui est nécessaire pour
défendre la paix.
Q -
Vous venez de le dire, le problème
maintenant est d'appliquer la feuille de
route. Du côté palestinien, le Premier
ministre Abou Mazen vous paraît-il
capable d'appliquer cette feuille de
route ? Vous êtes également allé
rendre visite à Yasser Arafat, cela
veut-il dire que vous ne croyiez pas au
fond de vous que M. Abou Mazen soit
vraiment capable de guider le peuple
palestinien vers la paix ?
R - Un
homme peut-il porter seul une charge
aussi lourde que la paix ? La position de
l'Europe et de la France est claire : il
faut parier, miser sur un gouvernement,
sur des forces conjuguées palestiniennes
pour avancer dans le sens de la paix.
Aujourd'hui le Premier ministre Abou
Mazen est décidé à avancer et il le
fait avec une équipe solide. Lorsque
j'étais là-bas, j'ai eu l'occasion de
rencontrer un certain nombre de
ministres, celui en charge de la
sécurité, celui des Affaires
étrangères et j'ai trouvé la même
détermination chez tous ces hommes.
Q -
L'envol d'Abou Mazen n'est-il pas le
crépuscule d'Arafat ?
R -
Lorsque l'on veut la paix, il ne faut pas
chercher à diviser. Et la position de
l'Europe qui est de voir et de travailler
avec M. Abou Mazen, de rencontrer M.
Arafat est fondée sur cette idée.
Q - Et
ce n'est pas celle d'Israël et des
Etats-Unis d'ailleurs.
R - En
effet, mais je constate d'ailleurs que
cette position est celle qui est
souhaitée par Abou Mazen lui-même. Pour
qu'il puisse agir de façon claire et
déterminée, il a besoin que tous les
Palestiniens avancent dans le même sens.
Lorsque nous rencontrons Arafat, nous
répondons au vu d'Abou Mazen qui
est de créer des synergies, une unité.
Q -
Abou Mazen a donc besoin de la France
pour parler avec Arafat de la paix.
R - Ce
n'est pas ce que j'ai dit.
Q -
Non, en effet, mais c'est la question que
suscite votre réponse. Abou Mazen a-t-il
besoin de convertir Arafat à la paix ?
R - Abou
Mazen a besoin de tous les Palestiniens
pour avancer.
Q - Il
n'a donc pas Arafat pour l'instant.
R - Mais
il a besoin de tous les Palestiniens, il
a besoin que la communauté
internationale ne crée pas de divisions,
ne distingue pas les "bons" et
les "mauvais" Palestiniens. A
partir du moment où les Palestiniens
veulent travailler pour la paix, nous
devons utiliser cette énergie.
Q -
Estimez-vous aujourd'hui que les
relations franco-israéliennes sont dans
une phase nouvelle après une longue
période très difficile ?
R - Je le
souhaite et je le crois. Il y a eu, c'est
vrai, beaucoup de difficultés,
d'incompréhensions et de malentendus au
cours des dernières années et cela nous
a paru suffisamment important pour que
nous en tirions les conclusions et que
nous souhaitions donner un nouvel élan
à la relation entre la France et
Israël, qui est une relation forte sur
le plan historique. Vous connaissez
l'engagement de la France pour la
création de l'Etat d'Israël, c'est une
relation nourrie par la qualité de la
présence de la communauté juive en
France, par la force que représente une
communauté juive francophone en Israël.
Tout ceci justifiait que l'on donne un
nouvel élan à cette relation,
indépendamment de tout aspect politique
ou diplomatique. Il y a là vraiment une
priorité qui mérite d'être donnée.
Q -
C'est ce que vous avez dit lundi dans une
lettre ouverte publiée en tribune d'un
quotidien israélien. Vous disiez que
votre voyage en Israël visait à
imprimer une nouvelle dynamique à la
relation franco-israélienne. Pensez-vous
que c'est bien parti ?
R - Je
crois qu'il y a, dans la relation entre
la France et Israël tellement
d'éléments forts à valoriser que nous
avons des atouts exceptionnels.
Q -
Pourtant il y a eu des appels au boycott,
vous l'aurez remarqué ?
R - Oui,
mais je crois que nous ne devons pas nous
arrêter aux difficultés, aux états
d'âmes des uns et des autres.
Q - Les
condamnez-vous ces appels au boycott ?
R - Bien
sûr mais il y a une chose essentielle
entre la France et Israël, fondée sur
l'Histoire, sur la culture, sur un
échange, y compris dans les valeurs
spirituelles. A partir de là, ne
négligeons pas cette capacité et pour
faire la paix, il faut bien évidemment
que nous travaillons avec Israël. Nous
souhaitons donc renforcer cette relation,
nous souhaitons retrouver la qualité des
relations de confiance. Nous souhaitons
échanger avec un peuple qui a de
profonds liens avec la France.
Q - Y
compris par des voyages à haut niveau.
Peut-on par exemple imaginer que le
président Chirac se rende de nouveau en
Israël et que le président ou le
Premier ministre israélien vienne en
France ?
R - Mais
bien sûr. Dans la stratégie que nous
avons définie avec nos amis israéliens,
nous avons décidé de créer un groupe
de haut niveau. C'est une décision que
j'ai prise avec le ministre des Affaires
étrangères de l'époque M. Shimon
Pérès. Ce groupe a été formé avec
l'ambassadeur Lancry d'un côté et,
côté français, David Khayat, éminent
chercheur cancérologue. Ce groupe de
haut niveau a beaucoup travaillé et, du
côté français, nous avons fait le tour
de l'ensemble de nos administrations pour
voir les projets qui pouvaient être
soutenus, comme la création que j'ai
annoncée à Jérusalem d'un Institut
français à Tel Aviv, la rénovation
complète de notre coopération dans le
domaine scientifique, la création d'un
forum pour la jeunesse. Je crois que nous
devons tisser et renforcer ces liens,
nous devons éviter que
l'incompréhension, le malentendu ne
s'insinuent entre les deux pays.
Q - Et
Jacques Chirac en Israël, c'est donc
envisageable ?
R - C'est
totalement envisageable et je pense que
plus nous travaillons ensemble pour la
paix, plus cela justifie que nous
développions des relations bilatérales.
J'ai plaidé pour que plus de ministres
français se rendent en Israël, plus
d'Israéliens se rendent en France, nous
avons un capital à développer entre
Israël et la France.
Q -
Pour prolonger la question, cette visite
serait-elle envisageable en 2003 ?
R - Ce qui
est important, c'est de travailler dans
le cadre d'une dynamique. Nous voulons
tous que se développent ces relations.
Nous déterminerons avec les Israéliens
quel est le bon moment pour une telle
visite, d'un côté ou de l'autre, et il
s'agit véritablement de faire en sorte
que nos deux pays, nos deux Etats
puissent travailler davantage ensemble et
en confiance.
Q - Il
y a des attitudes positives malgré cette
guerre qui dure depuis bientôt trois
ans, y compris des entreprises comme
France Télécom qui ont continué
d'investir en Israël, avec des
entreprises israéliennes ou dans ces
entreprises. Continuez-vous à encouragez
cela mais d'une manière vraiment
positive en disant : "allez-y
maintenant" ?
R - C'est
aujourd'hui une nécessité. Il y a près
de 6000 entreprises françaises qui
travaillent avec Israël. La crise
économique et financière a
particulièrement touché Israël et je
suis frappé à chaque visite de
constater à quel point Israël paie un
lourd tribut à la guerre et à cette
situation de tension qui perdure dans la
région. Evidemment, nous souhaitons tous
que le contexte général puisse
s'améliorer. Chacun connaît la
capacité d'innovation, la capacité
d'entreprise des Israéliens et, de ce
point de vue, il y a un véritable
partenariat car nous avons des
compétences partagées. Je l'ai dit,
dans le domaine de la science par
exemple, cela mérite d'être valorisé.
Q - Au
Proche-Orient, il y a un changement
important avec l'Irak, la chute de Saddam
Hussein et l'occupation américaine du
pays. Qu'est-ce que cela vous inspire
pour l'avenir du Proche-Orient ? Tout
compte fait, pensez-vous a posteriori que
cette intervention américaine a été
négative ?
R - Je me
garderai de jugements de valeur tranchés
sur des dossiers et des sujets aussi
difficiles. Je constaterai tout
simplement qu'il n'y a pas de baguette
magique, il n'y a pas de solutions
miracles, ni en Irak ni au Proche-Orient.
Il y a la détermination, la volonté, la
capacité à travailler dans la durée.
En Irak, nous sommes dans une situation
nouvelle, nous nous félicitons et nous
réjouissons de la chute du régime de
Saddam Hussein mais les choses ne sont
pas réglées et nous voyons bien qu'il y
a encore beaucoup à faire sur le plan
humanitaire pour permettre de créer des
conditions plus favorables pour le peuple
irakien. Nous voyons qu'il y a encore
beaucoup à faire dans le domaine de la
sécurité. Et l'offensive menée par les
Américains dans la région nord pour
éradiquer ce qui reste encore de
contestations violentes ouvertes en est
encore un signe.
Q -
Pensez-vous qu'il y a plus de voix
occultées ?
R - C'est
une vraie question. Il y a une situation
différente en Irak selon les régions.
On constate que dans la région kurde où
une tradition s'était créée au fil des
années d'une prise en main par le
régime, la situation est à peu près
stabilisée. Nous constatons que dans la
région chiite, il y a encore des
incertitudes mais que, globalement,
l'espoir est là. La vraie difficulté
est surtout du côté des Sunnites qui
étaient le principal soutien du régime
de Saddam Hussein et qui aujourd'hui sont
inquiets parce qu'ils se sont vus coupés
de l'armée, des emplois de la haute
administration et de la fonction
publique. Il y a donc une inquiétude. A
partir de là, comment faire pour
réamorcer un nouveau processus ? Nous
avons accepté de voter la résolution
1483, elle a d'ailleurs été votée à
l'unanimité, ce qui marque l'engagement
de la communauté internationale pour
travailler à la reconstruction de
l'Irak. Nous pensons là encore que plus
la communauté internationale sera unie,
plus elle se mobilisera, plus nous aurons
de chances rapidement d'avancer dans le
reconstruction.
A mon
sens, il y a une priorité, faire en
sorte que la souveraineté irakienne, que
la capacité des Irakiens à prendre
eux-mêmes leur destin en main soit très
vite réaffirmée. Plus vite nous aurons
des interlocuteurs irakiens, plus vite
une administration irakienne se mettra en
place, plus vite, je crois, ces
contestations violentes auxquelles nous
assistons pourront régresser. Il y a là
un principe politique, un principe humain
qui me paraît fondamental.
Q - Je
voudrais juste revenir sur le Hamas car
il y a une déclaration cette semaine de
Leïla Chahid qui est relativement
importante : elle disait que le Hamas
était financé en partie par la zakat,
c'est-à-dire l'aumône recueillie dans
les mosquées. Elle parlait de mosquées
européennes et notamment françaises.
Comment cela vous fait-il réagir ?
R - Il est
bien évident que tout soutien à ce qui
pourrait ressembler à des organisations
mobilisées pour le terrorisme est
inacceptable. En ce qui concerne le
Hamas, il est important de distinguer ce
qui peut être un mouvement politique et
ce qui peut être un mouvement militaire,
un soutien éventuel du terrorisme. La
situation générale sera examinée en
particulier par les Européens et ce dès
le début de la semaine.
Q - Une
déclaration de Javier Solana dit
également que l'Union européenne
voulait trouver les moyens d'arrêter ces
financements internationaux.
R - Dès
le début de la semaine prochaine, nous
nous réunirons pour examiner cette
situation. Croyez bien que notre
détermination à agir pour éradiquer
toute forme de terrorisme est entière.
Q -
Concernant l'Irak, cette intervention
américaine et cette nouvelle donne au
Proche-Orient peuvent-elles faciliter ou
au contraire compliquer une avancée vers
un règlement israélo-palestinien ?
R- C'est
un sujet qui a été dans le passé
fortement débattu. Fallait-il passer par
Bagdad pour régler la situation à
Jérusalem ou fallait-il au contraire
commencer par Jérusalem ? C'est un sujet
difficile et je crois que l'on ne fera
pas l'économie d'un très fort
engagement dans les deux crises.
Pour
avancer dans le règlement de la
situation irakienne, il est certain que
la mobilisation de la communauté
internationale est tout à fait
indispensable et c'est un chemin
difficile car il faut, partant
aujourd'hui d'une situation de vide,
construire une nouvelle donne politique,
relancer une économie, et chacun voit
que c'est une chose compliquée de
maintenir des équilibres sociaux,
d'éviter la fragmentation d'une
société très complexe composée de
tribus, de diverses communautés et
religions, le tout dans une situation
régionale extrêmement tendue.
Q -
Craignez-vous encore que l'on puisse
aboutir à une division de l'Irak et à
une partition ?
R - Je
pense que, la situation régionale étant
ce qu'elle est, il ne faut pas écarter
ce risque et nous devons agir avec
détermination et prudence. La France a
appuyé la recherche d'un retour des
Nations unies, nous sommes convaincus que
cette résolution 1483 le permet, et vous
savez que c'est un principe essentiel
auquel nous sommes très attachés. Je
pense que la nomination de Vieira de
Mello, le Haut-Commissaire aux Droits de
l'Homme est un atout pour la communauté
internationale.
Q -
Aimeriez-vous qu'un Français puisse
avoir des responsabilités dans
l'administration civile en Irak ? Un
Français comme Bernard Kouchner par
exemple ?
R - La
question ne se pose pas aujourd'hui. Il
est bien évident que dans le processus
qui va se mettre en place, les Nations
unies, c'est ma conviction, vont avoir
des responsabilités de plus en plus
fortes tout simplement parce qu'elles en
ont la capacité et l'expérience.
Souvent, cela fait la différence.
Aujourd'hui, l'administration civile et
l'ONU entretiennent de bonnes relations.
M. Vieira de Mello s'est entretenu
récemment avec Paul Bremer, ils
travaillent ensemble au quotidien. Il
faudra aller plus loin pour conforter ce
processus et à partir de là, que la
communauté internationale s'implique
davantage, que la France soit amenée à
prendre toute sa part. Bien évidemment,
c'est possible, cela suppose que le cadre
légal qui pourra être donné soit
renforcé et en particulier que les
Nations unies fixent clairement ce cadre.
Q -
Lorsque vous faites le bilan de ces
derniers mois de l'évolution de la crise
irakienne, estimez-vous que la France est
allée trop loin, que vous-même, vous
êtes allé trop loin, ou êtes-vous
resté dans votre rôle ?
R - Le
choix de la France, c'est le choix du
respect du droit et du respect des
principes. Va-t-on trop loin lorsque l'on
respecte le droit et les principes ?
C'est l'idée que les Nations unies
soient détournées de leur objet. Je le
rappelle, l'objectif des Nations unies,
l'objectif de la communauté
internationale, y compris pour les
Etats-Unis, a été depuis le début, et
c'est pour cela que nous avions voté la
résolution 1441, le désarmement de
l'Irak. Dans cette voie, nous sommes
allés aussi loin que possible pour
défendre cet objectif. A aucun moment,
l'idée d'un changement de régime,
l'idée d'un remodelage du Moyen-Orient
n'avaient été évoquées.
Aujourd'hui,
nous sommes dans une situation nouvelle,
regardons vers l'avenir, mobilisons-nous
tous ensemble et la volonté de la France
est d'apporter tout son concours à la
recherche d'une solution.
Q -
Cela vous étonne-t-il que l'on n'ait
trouvé aucune arme de destruction
massive en Irak ?
R -
Lorsque l'on a travaillé avec nos amis
américains et la communauté
internationale, nous avions évoqué un
risque de déstabilisation par ces armes
de destruction massive. Si nous avons
choisi d'envoyer là-bas des inspecteurs
des Nations unies, c'est bien pour en
avoir le cur net et cela ne fait
évidemment que renforcer le regret que
ces inspecteurs n'aient pas pu aller
jusqu'au bout de leur mission. Lorsque je
parle de regret, ce n'est pas un regret
purement historique, c'est parce que nous
voyons, dans d'autres régions du monde,
des crises ou des menaces de
prolifération qui existent et qui
justifieraient que les Nations unies
puissent, là encore, se mobiliser. Nous
avons besoin d'un outil comme celui des
Nations unies.
Q -
Vous venez d'évoquer les principes
auxquels sont attachés les responsables
français. Estimez-vous que si une ou
plusieurs démocraties ont, d'une
certaine manière, au moins
"bluffé" sinon menti pour
présenter et pour dire qu'il y a des
risques de détention d'armes chimiques
et si ce montage est révélé, est-ce
grave pour les démocraties ? Pour être
plus clair, estimez-vous que George Bush
et Tony Blair ont menti ?
R - Il ne
m'appartient pas, vous le comprendrez,
comme chef de la diplomatie française,
de rentrer dans un tel débat. La mise en
place de commission est envisagée pour
faire la lumière aux Etats-Unis et en
Grande-Bretagne.
Q -
Avez-vous pensé à cette possibilité ou
non ?
R -
Laquelle ?
Q - Que
George Bush et Tony Blair aient menti ?
R - Une
fois de plus, ce n'est pas à la France
de porter des jugements sur des amis et
des alliés. J'ai dit sur quelle base et
à partir de quelle conviction la France
a agi.
Je
comprends votre question, vous
comprendrez ma réponse.
Q - Ma
question était, si cela s'avérait,
serait-ce grave pour la démocratie ?
R - Je
crois que ce qui est important, c'est que
nous respections les règles du jeu que
nous fixons et en l'occurrence, lorsque
nous avons décidé de nous mobiliser
avec les Nations unies, la règle du jeu
était l'objectif du désarmement. Il est
important que la communauté
internationale travaille sur des bases
claires.
Q -
Aujourd'hui il y a beaucoup
d'inquiétudes sur la prolifération
nucléaire à propos de l'Iran qui a un
programme nucléaire qui pourrait avoir
des implications militaires, cela
remet-il en cause la politique
européenne et française de dialogue
avec l'Iran ?
R - La
position de l'Europe, comme la position
de la France, est d'une extrême clarté
et prend en compte la situation que vous
évoquez et le risque de prolifération.
Dans les récents déplacements des
responsables de l'AIEA, nous avons
constaté qu'il y avait des questions. A
partir de ce moment-là, et nous avons
fait le même cheminement sur l'Irak, il
est évident que la communauté
internationale ne peut pas rester sans
réagir. Qu'avons-nous fait ? J'étais en
Iran il y a quelques semaines pour
demander aux Iraniens de se mobiliser
pour donner toutes les garanties dans ce
domaine, une garantie de respect des
règles internationales, une garantie
d'un engagement très clair pour éviter
ce risque de prolifération. Nous avons
notamment demandé à l'Iran qu'il signe
le protocole additionnel de l'AIEA 93+2.
De ce point de vue, il n'y a pas
d'ambiguïté et nous sommes mobilisés,
les Européens et les Français, pour que
l'Iran prenne et marque clairement son
engagement.
Q -
Vous êtes acteur et témoin en temps
réel. Sentez-vous l'administration
américaine, après le conflit contre
l'Irak, "bouger" sur certains
dossiers. Reprenons par exemple le cas de
l'interposition. Jusqu'à présent, les
Etats-Unis y étaient plutôt hostiles.
Les Etats-Unis vous semblent-ils
"bouger" sur la possibilité
d'une force d'interposition entre
Israéliens et Palestiniens ? Vont-ils
vers le scénario qui semble être celui
qui a votre préférence ?
R - Je
vous dirai ma conviction, nous ne pouvons
pas voir se dégrader la situation au
Proche-Orient, voir la violence reprendre
sans réagir. Nous sommes tous engagés,
nous avons tous plaidé pour un nouvel
engagement au service de la paix au
Proche-Orient, il faut que nous tirions
à chaque étape les conclusions et que
nous essayions de reprendre pied
justement pour encourager la paix. A
partir de la situation nouvelle créée
au cours des derniers jours et des
dernières semaines, il faut que la
concertation internationale se poursuive
et s'approfondisse. Le Quartet se
réunira au niveau des experts dans les
prochains jours, il va se réunir au
niveau ministériel également, nous
allons parler de tout cela.
Nous avons
tous ensemble un objectif commun, il faut
donc que nous cherchions à prendre les
décisions très concrètes qui peuvent
appuyer cet effort.
Q -
Avant de prendre des décisions, que dira
le ministre français des Affaires
étrangères Dominique de Villepin à ses
collègues au sujet justement de cette
force d'interposition ?
R - Il
dira : étudions la faisabilité d'une
telle force, voyons ce qu'une telle force
pourrait apporter sur le terrain et, s'il
apparaît que l'ensemble des parties le
souhaite et qu'une action de la force
d'interposition permette d'enrayer les
mouvements terroristes ou d'agir de telle
façon à ce qu'elle ne crée pas un
phénomène de surenchère, décidons de
le faire.
Q -
D'après les indicateurs que vous avez
par rapport à l'administration
américaine, sentez-vous qu'elle
"bouge" sur ce sujet ?
R - Vous
me permettez de le dire très clairement.
Il y a plusieurs écoles actuellement sur
la scène internationale. Il y a ceux qui
disent que les Américains se sont
engagés ponctuellement et ont d'abord
visé à obtenir un succès à l'occasion
d'Aqaba et de Charm-el-Cheikh mais que le
calendrier électoral rendra impossible
la poursuite de ces efforts. Moi, ce
n'est pas ma conviction. La communauté
internationale, les Américains, sont
fortement engagés en Irak et au
Proche-Orient. A partir de là, on ne
peut pas "laisser tomber" les
choses. Il y a du côté d'Israël une
mobilisation dans le sens de la paix,
c'est la même chose du côté des
Palestiniens, on ne peut pas
"laisser tomber" ceux qui
croient aujourd'hui à la paix dans cette
région. Ce ne serait pas même maintenir
le statu quo, ce serait régresser,
adresser à ceux qui soutiennent la
violence et le terrorisme le signal
qu'ils ont gagné. Ceci est inacceptable.
Donc, le calendrier électoral américain
ne marquera pas une pause, nous serons
obligés, les uns et les autres, de
maintenir nos efforts durant toute cette
période.
Q -
Avant la pause, vous disiez que, de toute
façon, pour qu'une force d'interposition
puisse effectuer correctement son
travail, il faudrait que toutes les
parties soient d'accord. Maintenant, vous
dites que vous allez quand même
travailler là-dessus alors que vous
savez que les Israéliens y sont
totalement opposés. Cela veut-il dire
que vous allez tenter de l'imposer aux
Israéliens ? Essaierez-vous de les
convaincre de force ?
R - La
force n'est certainement pas
l'instruction que nous voulons donner.
Là encore, et c'est l'une des grandes
clefs des relations internationales que
l'on a tendance à oublier, de
grand-messe en grand-messe, de grandes
célébrations à grand renfort de
spectacle. Il faut que la communauté
internationale travaille. Mettons-nous
autour d'une table, tous, et examinons
les choses. Voyons quel est l'intérêt
de tous. Souhaitons-nous à nouveau une
surenchère de violences qui marquera une
situation pour Israël encore plus
difficile dans quelques mois ? Est-ce que
la politique de sécurité seule, qui a
été menée depuis plusieurs années,
donne des résultats ? Israël est-elle
aujourd'hui plus en sécurité qu'elle ne
l'était il y a six mois ? La situation
des Palestiniens est-elle aujourd'hui
plus facile qu'elle ne l'était il y a
quelques années ?
Constatons
que nous sommes dans une spirale. A
partir de ce moment-là, soyons lucides,
réagissons, faisons preuve
d'imagination, examinons quelles sont les
options et je n'ai pas de doute, étant
tous de bonne volonté, nous souhaitons
tous la même chose : nous voulons
qu'Israël puisse vivre en sécurité,
nous voulons que les Palestiniens
puissent avoir un avenir. Je pense pour
ma part avec beaucoup de force que la
création d'un Etat palestinien rendra
les choses plus faciles, permettra une
plus grande lisibilité, une plus grande
prise de responsabilités dans cette
région. J'ai aussi la conviction
qu'au-delà de la dimension de la
sécurité, au-delà de la dimension
politique, la dimension du développement
est essentielle. Si nous offrons une
perspective de développement pour toute
cette région, et nous connaissons les
synergies qui peuvent exister
Q -
Vous parlez de Shimon Pérès il y a
déjà dix ou quinze ans ?
R - Je
rappelle un chiffre. L'ensemble du monde
arabe représente 0,5 % des
investissements internationaux, c'est
misérable ! Comment voulez-vous que la
paix puisse apparaître d'actualité
alors même que le monde arabe n'est pas
inséré dans les échanges
internationaux ? Réintéressons cette
région au développement, faisons en
sorte d'appuyer les processus de
modernisation.
Q -
Mais l'Europe n'est pas responsable du
désintérêt des Arabes de
l'investissement, nous n'avons pas
forcément à en porter le poids
politique et commercial.
R - Oui,
mais il se trouve que c'est notre
intérêt. L'Union européenne est le
premier partenaire d'Israël, comme des
Palestiniens. C'est notre intérêt de
sécurité, notre intérêt culturel. Je
vous rappelle la présence, y compris
chez nous, de ce monde musulman :
5 millions de musulmans en France,
d'importantes communautés qui existent
dans des pays comme l'Angleterre ou comme
l'Allemagne, c'est un défi.
Réussira-t-on à avancer tous ensemble
ou non?
Ma
conviction est qu'il faut prendre de
grandes décisions. Ne négligeons pas,
et je l'ai redit hier solennellement au
Sénat, lors d'une conférence qui était
sur le thème "Islams et
Occidents", ne négligeons pas qu'il
y a une donnée nouvelle sur la scène
internationale depuis la chute du mur de
Berlin, c'est l'importance donnée aux
identités, aux principes culturels et
religieux. Si nous ne sommes pas capables
de tisser des liens de compréhension, de
tolérance les uns avec les autres, nous
renforcerons alors ces extrêmes, ces
mouvements de violences. C'est donc un
travail global qu'il faut faire.
Q - La
France est-elle encore écoutée à
Washington après la crise irakienne, sur
la question du Proche-Orient comme sur
d'autres d'ailleurs ?
R - C'est
une question intéressante car je peux
vous dire, ayant passé en revue
l'ensemble des dimensions entre la France
et les Etats-Unis, que la qualité des
coopérations qui existe entre nos deux
pays est tout à fait exceptionnelle et
n'a cessé de se renforcer.
Prenons
des exemples simples, nous parlions de
violences ; en ce qui concerne le domaine
du renseignement et de la sécurité,
s'il y a deux pays qui travaillent
ensemble avec efficacité et compte tenu
de leurs compétences respectives, c'est
bien la France et les Etats-Unis.
Q - Et
pourtant, on parle de boycott des
produits français aux Etats-Unis ?
R -
Distinguons les choses, qu'il y ait eu
une phase difficile dans les relations
entre la France et les Etats-Unis, que
ces difficultés aient pris une forte
dimension, appuyée notamment par l'écho
médiatique qui leur a été donné,
c'est l'évidence. Il faut tout faire
pour enrayer cela, revenir, expliquer,
c'est ce que nous essayons de faire. Et
je crois que la meilleure façon
d'avancer, c'est aussi d'agir et c'est ce
que nous faisons avec nos partenaires
américains. Je peux vous dire que la
qualité des relations que j'entretiens
avec mon homologue Colin Powell, la
confiance qui existe entre le président
Bush et le président Chirac en
témoignent. Il y a là au quotidien une
relation très forte. C'est la
concertation par exemple que nous avons
sur toute une série de grandes crises.
En Afrique
prenons par exemple la capacité que nous
avons de nous mobiliser sur certains
théâtres. L'exemple de l'Afrique est
là pour en témoigner. Il y a encore
quelques jours, il fallait évacuer des
communautés étrangères dont un certain
nombre de ressortissants américains au
Liberia. Qui l'a fait ? La France.
Q -
Peut-on dire qu'il y a une sorte de
partage des rôles, les Etats-Unis
s'occupant en premier lieu et de manière
importante du dossier du Moyen-Orient et
la France jouant son rôle habituel en
Afrique ?
R - C'est
un leitmotiv que j'entends et que je lis
depuis quelques semaines, que la France
aurait été évincée du Moyen-Orient.
Mais permettez-moi de vous dire, car je
suis allé à trois reprises dans cette
région au cours des dernières semaines,
que ce n'est absolument pas vrai. Le
poids de la France au Moyen-Orient est
extrêmement important, peut-être plus
important qu'il ne l'a jamais été. A
partir de là, constatons la capacité
d'influence de nos pays. Nous avons des
relations privilégiées et une capacité
de connaissance et de compréhension qui
justifient que nous soyons mobilisés, en
liaison notamment avec nos amis
américains. Le président Bush l'a dit
lui-même, reconnaissant l'expertise et
la connaissance françaises de cette
région. Et c'est bien en mettant bout à
bout l'ensemble de ces capacités que
nous parviendrons à travailler ensemble
pour la paix.
Q - La
feuille de route spécifique pour la
Syrie et le Liban pour le processus de
paix avec Israël, y travaillez-vous ?
R - Nous y
travaillons parce que pour parler de
paix, il faut que cette paix soit
globale, c'est-à-dire que l'ensemble des
parties concernées puisse avancer dans
la même direction. Il faut une paix
évidemment entre Israël et les
Palestiniens, il faut aussi régler les
problèmes qui se posent avec la Syrie et
le Liban. L'idée d'une feuille de route
qui prenne en compte cette dimension nous
paraît tout à fait essentielle.
Q - Et
la feuille de route de Valéry Giscard
d'Estaing en Europe ? Est-elle parvenue
à son terme ?
R - Vous
me permettez de le faire aujourd'hui, je
veux saluer l'action qui a été celle du
président de la Convention M. Giscard
d'Estaing. Tout au long de ces 16
derniers mois, il a fait un travail
exceptionnel.
Q -
Pourtant Romano Prodi dit aujourd'hui
dans "Le Journal du Dimanche"
qu'il n'est pas allé assez loin ?
R - Bien
sûr, tout le monde souhaite aller plus
loin et c'est d'ailleurs la marque que
l'idée européenne est une idée
vivante. Mais enfin, qui, il y a 16 mois,
aurait parié que nous puissions arriver
à un consensus au sein de la Convention
? J'étais vendredi à la Convention et
je peux vous dire, parlant aux uns et aux
autres, aux 105 conventionnels qui
étaient présents, que c'est un miracle
qui a été réalisé. Alors, cette
Europe, nous sommes tellement nombreux à
la souhaiter encore plus forte qu'il faut
continuer de travailler. Je constate que
le schéma institutionnel qui a été
porté par la Convention, qui renforce
les trois pôles institutionnels de
l'Europe, la Commission, le Conseil
européen et le Parlement fixe un cadre
qui nous paraît essentiel. Nous voulons
tous plus d'Europe dans le monde
d'aujourd'hui. L'Europe a un rôle
essentiel à jouer parce qu'elle
représente une expérience, des
aspirations si diverses qu'elle est
vraiment un trait d'union entre plusieurs
mondes. Nous avons besoin de l'expertise,
de la sagesse et de l'expérience de
l'Europe.
Q - La
Convention nous propose un ministre des
Affaires étrangères européen qui sera
nommé par le Conseil européen. Le
ministre des Affaires étrangères de la
France aura-t-il encore un rôle à jouer
lorsqu'il y aura un ministre des Affaires
étrangères européen ?
R - Bien
évidemment. L'objectif, c'est une
politique étrangère commune, ce qui ne
veut pas dire une politique étrangère
unique. Cela veut dire que sur tous les
sujets où l'Europe doit jouer un rôle
plus important, je parle des crises, des
grandes lignes de la diplomatie
européenne, cet engagement doit être
plus marqué, plus exigeant.
Prenons
l'exemple des Balkans. Nous sommes
fortement engagés, nous avons pris le
relais de l'OTAN en Macédoine, demain
nous le prendrons en Bosnie. Nous sommes
engagés dans la première opération
européenne, hors de l'Europe, en
Afrique, en Ituri au Congo, avec la
France comme nation-cadre et tout ceci
justifie qu'il y ait un ministre des
Affaires étrangères qui, en permanence,
cherche à voir quelles sont les
capacités de l'Europe.
Q - Et
concernant le rôle de M. Giscard
d'Estaing, à l'avenir, serait-il plutôt
celui de ministre des Affaires
étrangères européen ou de président
de l'Europe ?
R - Je
pense qu'il faut être sérieux, le
président Giscard d'Estaing est un homme
de grande expérience et moi je souhaite
pour ma part qu'il puisse continuer à
travailler au service de l'Europe, que la
Convention puisse, sous une forme ou sous
une autre, accompagner les réflexions de
la Conférence intergouvernementale et il
est évident que les qualités et
l'exigence qu'il a déployées au service
de l'Europe méritent non seulement
d'être récompensées mais d'être
utilisées à plein.
Q -
Vous parliez hier au Sénat des
conditions d'admission de la Turquie à
l'Union. Parmi ces conditions, pour que
la Turquie soit admise au sein de l'Union
européenne faut-il que le gouvernement
turc reconnaisse la responsabilité de
l'Empire ottoman dans le génocide
arménien ?
R - Vous
parlez de feuille de route, c'est un mot
à la mode. C'est vrai qu'à Copenhague,
nous avons fixé le cap pour la Turquie,
l'exigence de réformes indispensables
qui doivent être faites. Ces réformes,
c'est d'abord l'alignement politique de
la Turquie, l'exigence commune que nous
devons avoir en partage sur le plan de la
démocratie. Ne mélangeons pas les
genres, il faut éviter de compliquer les
choses davantage même s'il est bien
évident qu'est importante la capacité
que peut avoir une démocratie à
regarder son passé avec exigence.
Q -
Comme l'a fait la France ?
R - En
effet, le président Chirac, vous l'avez
entendu en 1995 dans son discours du Vel
d'Hiv, a rappelé il y a quelques
semaines à l'Elysée en recevant le
CRIF, les fautes inavouables, inexpiables
de la France, ses fautes inexcusables ;
je crois qu'il y a une responsabilité
française.
Q - La
Turquie devrait-elle utiliser les mêmes
termes pour reconnaître la
responsabilité des autorités ottomanes
dans le génocide arménien ?
R - Une
fois de plus, ne confondons pas les
choses, l'exigence posée par l'Europe
d'une conformité aux règles politiques
et démocratiques, de ce travail qui est
celui de la mémoire, qui demande parfois
du temps et qui obéit à d'autres
logiques. C'est un travail qu'une
démocratie doit être capable de faire
sur elle-même, qui demande une
maturation et du temps ; je crois que la
logique des conditions est parfois
antagoniste et ne fait que durcir des
attitudes. Cela participe d'un travail
qu'un pays doit être capable de faire
sur lui-même mais ce n'est pas dicté de
l'extérieur. (
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