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De notre correspondant à
Paris (75), Stéphane LOISON
EL VERDUGO (Le Bourreau) - 9 avril
2014
Réalisation Luis G.Berlanga
Avec Nino Manfredi, José Isbert, Emma Penella
Sortie le 9 avril 2014
Ce film de 1963 ressort aujourdhui ainsi
quen DVD. Il avait reçu le prix de la
critique au festival de Venise. En le revoyant
cinquante ans après, on ne peut simaginer
combien la réaction de létat fasciste
espagnol de Franco a pu sénerver sur ce
film et combien la censure lui a causé de
sérieux problèmes. Une boutade en Espagne
disait quon ne peut savoir si le héros du
film et bourreau ou plombier tant les scènes du
bourreau avaient été censurées ! Louis Garcia
Berlanga grand cinéaste de cette époque avait
du mal à faire passer ses messages anarchistes
et railler la société espagnole à travers ses
films. El Verdugo (Le bourreau) ridiculise le
principe de la peine de mort.
Carmen est la fille dAmadeo, le bourreau de
la Cour de Madrid. Ses relations amoureuses sont
une catastrophe. Tous les garçons quelle
rencontre finissent par la quitter dès
quils apprennent la profession de son
père.
José Luis est quant à lui un employé des
pompes funèbres qui souffre les mêmes déboires
avec les femmes. Sa rencontre avec Amadeo, dans
le cadre de leurs activités professionnelles,
débouchera sur son mariage avec Carmen.
De par son travail, Amadeo possède un logement
subventionné quil est sur le point de
perdre, car il va partir à la retraite. Pour le
conserver, il va tenter de convaincre son gendre
daccepter le poste de bourreau ainsi
laissé vacant.
« Le bourreau » est une farce qui prend au fur
et à mesure du déroulement du film des allures
inquiétantes. Cest un film terriblement
pessimiste, amer. Le bourreau pour trouver une
place, abdique sa liberté. En 1963 le problème
de la suppression de la peine de mort
nétait pas dactualité ; les
dernières exécutions en Espagne remontent en
1975. Elle a totalement été abolie en 1995 ; En
France seulement en 1981. En Espagne on
appliquait létranglement. Dans le film la
scène du garrot a été censurée. A travers le
bourreau, qui triche avec lui même car il sait
bien quil ne peut pas ne pas tuer, Luis
Berlanga montre la soumission de lhomme à
la société. Toutes les classes sociales en
prennent pour leur grade : la concierge refuse de
toucher la mallette du bourreau, arguant de sa «
propreté », les prêtres appliquent la
ségrégation entre riches et pauvres dans la
scène du mariage ou bien empêchent José Luis
« d'y voir clair » quand celui-ci est forcé
d'observer le condamné par le judas de son
cachot. Il s'exclame : « Je n'y vois rien, c'est
tout noir... » au moment où la porte s'ouvre
sur un prêtre en soutane à l'allure
inquiétante qui assiste les derniers instants du
condamné... et, si l'on peut dire, ceux aussi de
José Luis. La charge contre le tourisme de
masse, une industrie toute naissante en Espagne
crée un contraste saisissant avec la présence
du couple José Luis et Carmen et le bambin.
Larrivée des gardes à la recherche du
nouveau « Verdugo » dans la grotte sur une
barque à la Caron sur le Styx a des allures
surréalistes et métaphysiques. Lapport
des italiens nest pas négligeable. Le
scénariste, le directeur de la photo (celui de
Fellini) et les acteurs apportent une touche des
comédies à litalienne sans pour cela
tomber dans les travers de Monicelli ou même de
Pietro Germi qui serait plus proche de
lesprit de Berlanga dans ce film.
Le scénario est tiré au cordeau, pas une scène
superflue, tout est extrêmement tendu. La
dernière séquence du film est hallucinante. On
ne sait qui est la victime qui est le bourreau !
Les acteurs sont impressionnants de justesse.
José Isbert ce grand acteur comique qui a
beaucoup tourné avec Berlanga a une aisance
stupéfiante dans le rôle du bourreau qui part
à la retraite; ce film était son dernier. Nino
Manfredi dans le rôle du nouveau bourreau qui
refuse de faire le travail apporte cette touche
comique quon retrouvera quelques années
plus tard dans les films de Dino Risi. Voilà un
film, vrai chef duvre dhumour
noir doit être découvert ou redécouvert et qui
marque une date importante dans lhistoire
du cinéma espagnol.
Stéphane Loison
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